Migrants en quête d’emploi décent : entre succès et désillusions
En Guinée et un peu partout en Afrique, de jeunes migrants sont en quête de meilleures opportunités professionnelles. Plusieurs abandonnent leur terre d’origine à la recherche d’emplois mieux payés. Pour les uns l’aventure a porté fruit et ils sont devenus de forts soutiens pour leur famille. Pour d’autres, le voyage est plutôt parsemé de difficultés et d’expériences parfois douloureuses en raison de conditions de recrutement qui ne garantissent pas toujours leur sécurité.
Emmanuel Camara, ingénieur en télécommunication, la quarantaine, est un guinéen qui a immigré dans deux pays africains pour des raisons de travail. « Je suis allé au Rwanda pour un an avec une entreprise de télécommunication. Nous travaillons tous les jours y compris les dimanches et parfois tard la nuit » témoigne Emmanuel l’air pensif. « J’étais avec un ami, nous n’avions pas un contrat avant notre départ et nous n’avons jamais eu ce contrat mais nous recevions un salaire à la fin de chaque mois. C’est après que j’ai compris que les expatriés étaient largement mieux payés » poursuit – il. L’histoire d’Emmanuel est celle de plusieurs autres jeunes qui ont quitté le sol guinéen pour d’autres horizons en vue d’une meilleure situation professionnelle. Selon le rapport de l’étude portant sur les pratiques de recrutement des travailleurs migrants guinéens, conditions de travail à l’étranger et politiques publiques face à la traite des êtres humains et au trafic de migrants, seuls deux migrants sur 25 interrogés ont affirmé avoir reçu un contrat de travail avant leur départ. Souvent ils font face à de nombreuses difficultés. Certains s’en sortent, d’autres par contre non.
« Nous avons fait des sites du réseau téléphonique MTN dans plusieurs localités du Rwanda. Mes économies au Rwanda m’ont permis par la suite de financer mon mariage » déclare t – il pour témoigner que son exprimer que son expérience rwandaise lui a été utile.
En 2017, l’Organisation Mondiale de Travail (OIT) estimait le nombre de travailleurs migrants dans le monde à 164 millions sur 258 millions de migrants internationaux. L’OIT estime par ailleurs que la migration de main d’œuvre contribue à la croissance et au développement des pays de destination, tandis que les pays d’origine bénéficient d’envois de fonds et des compétences que ces migrants acquièrent pendant leur expérience à l’étranger. « J’ai envoyé régulièrement de l’argent à mes parents » affirme Emmanuel. C’est aussi le cas de Antoine Ahouadjogbé. Il est ingénieur en bâtiment et a été envoyé avec plusieurs autres compatriotes à lui en Guinée dans les années 80 sous le régime de Sékou Touré pour aider à rénover le port autonome de Conakry.
« Cela fait plus de 37 ans que je suis en Guinée. J’ai beaucoup apporté à ce pays dans le domaine du bâtiment. Mais j’ai aussi beaucoup reçu de ce pays » affirme t – il le regard plein de fierté. « Tout n’a pas toujours été facile. J’ai eu des patrons qui m’ont volé » déclare t – il. Aujourd’hui, Antoine a réuni en Guinée sa femme, ses quatre enfants et plus d’une quinzaine de membres de sa famille. Il continue d’être un soutien fort pour le reste de sa famille élargie resté au pays. Mais tous les migrants en quête de meilleures conditions de travail n’ont pas toujours les mêmes chances. « Certaines histoires sur la violation flagrante et impunie de leurs droits notamment des femmes nous scandalisent et souvent ceux qui quittent la Guinée pour avoir un bon travail sont exploités » dénonce Monique Curtis, membre des panafricaines, un réseau de femmes journalistes d’Afrique qui s’est donné comme mandat une meilleure couverture médiatique de la mobilité féminine.
Du rêve aux expériences douloureuses et amères
Mariama Ciré Camara a été envoyée au Koweït par son patron pour qui elle travaillait à Conakry comme femme de ménage. Assise devant la concession familiale dans le célèbre quartier BBC de Yimbaya tannerie dans la banlieue de Conakry, qu’elle avait quitté il y a un an, Mariam nous raconte son histoire les larmes aux yeux. « Il m’a dit que si je voulais exceller dans ce travail, il peut m’aider à aller au Koweït où les conditions de travail sont largement meilleures. Je l’ai cru sans réfléchir parce que cela faisait trois ans déjà sans problème » affirme t – elle le regard plein de désillusions. « Arrivé à l’aéroport au Koweït, on m’a retiré mon passeport et j’ai travaillé six mois sans jamais voir le visage de mon salaire et parfois on me battait » déplore t – elle. Plusieurs jeunes qui quittent la Guinée pour des emplois hors du pays ne reçoivent pas souvent un contrat leur permettant d’être à l’abri des expériences douloureuses comme celle de Mariama Ciré Camara.
« La deuxième fois que j’ai voyagé pour le travail, c’est au Congo Brazzaville que je suis allé avec un de mes patrons qui y construisait. On m’a transmis un brouillon de contrat avant mon départ. Nous avions un accord qu’à mon arrivée, on allait signer le contrat. Mais il n’a jamais été signé. Il voulait que je rentre en Guinée et ensuite, il allait m’envoyer l’argent. J’ai refusé » témoigne à nouveau Emmanuel Camara dont l’expérience congolaise n’a pas été aussi bonne que celle rwandaise.
Renforcer le cadre juridique pour lutter contre les pratiques de traite et d’exploitation des migrants
« Face aux nombreux abus relevés par les guinéens, il ressort que le cadre juridique mérite d’être renforcé » propose Hadiatou Yaya Sall, journaliste et coordinatrice du Concours « Fodé et Yaguine », recompassant les meilleures productions journalistiques sur la migration. « La Guinée ne dispose même pas d’une politique nationale portant sur la migration, c’est dommage » déplore t – elle tout en invitant l’Etat à freiner la sortie massive de jeunes parfois vers des horizons inconnus et pour des activités professionnelles incertaines. En effet, la Guinée ne dispose pas à ce jour d’une politique nationale sur la migration. En raison de la sortie massive des jeunes, le pays a instauré depuis plusieurs mois déjà, un bulletin semestriel portant sur la migration. Un draft de la politique en la matière existe et devrait bientôt être adoptée. « Depuis l’adoption du programme d’action de la conférence internationale sur la population et le développement en 1994, la Guinée a pris des engagements pour réguler la migration. L’un des engagements forts était la mise en place de la politique et nous sommes bien avancés sur l’atteinte de cet objectif » a affirmé Sano Mohamed, Directeur National Population et Développement du Ministère du Plan et du Développement Economique.
Le gouvernement a aussi créé ce qu’on appelle un centre d’accueil, de transit et d’orientation des migrants qui sont rentrés volontairement de retour et qui ont besoin d’un soutien pour se reconstruire. Le code du travail est bien précis et protège les droits des travailleurs migrants. Mais entre ce qui est écrit et la réalité du terrain, l’écart est bien grand et cela ne favorise par une migration sûre comme l’indique plusieurs aspects du pacte mondial pour les migrations sures, ordonnées et régulières.