Les sanctions progressives de la CEDEAO à l’encontre de la Guinée (Par Amadou Lamarane Bah)
En marge de l’Assemblée Générale des Nations Unies, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement a décidé de se réunir pour examiner les questions préoccupantes de la sous-région (les transitions militaires au Mali, en Guinée et l’arrestation des 49 soldats ivoiriens par la junte malienne). En ce qui concerne la crise guinéenne, la conférence décide d’imposer des sanctions à l’encontre de la junte militaire. Il faut rappeler que ce pays est dirigé par un régime militaire depuis l’éviction du président Alpha Condé par un coup d’Etat militaire, le 5 septembre 2021. La mise en œuvre du mécanisme coercitif par l’organisation est fortement contestée. Une campagne d’instrumentalisée est également orchestrée par les régimes cibles des sanctions à l’encontre des instances (sous régionale, continentale et internationale). Ces institutions sont rattrapées par leur position ambivalente sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement sur le continent, principalement, la modification constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir. En somme, la question à aborder pour y voir plus claire est celle de savoir : au nom de quoi sanctionne-t-on un Etat et son régime dans l’espace CEDEAO ?
I – Les conditions de mise en œuvre des sanctions par la CEDEAO
L’initiative et l’adoption de sanction sont encadrées par les instruments régionaux. Des situations particulières sont définies par l’article 25 du protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité de 1999 pour tout déclenchement du mécanisme. Ces conditions ne sont mises en œuvre qu’en ;
- En cas de changement anticonstitutionnel de gouvernement ;
- En cas de menace à la paix ;
- En cas désastre humanitaire ;
- En cas d’une situation qui constitue une menace grave à la paix et à la sécurité de la sous-région ;
- En cas de violations graves et massives des droits de l’homme ou de remise en cause de l’Etat de droit ;
- En cas de renversement ou de tentative de renversement d’un gouvernement démocratiquement élu.
- Toute autre situation que détermine le Conseil de Médiation et de la Sécurité.
Ce même article précise que le mécanisme ne peut être enclenché que ;
- Sur décision de la conférence ;
- Sur décision du Conseil de Médiation et de la Sécurité ;
- Sur l’initiative désormais de la commission en remplacement du secrétariat exécutif ;
- Sur demande de l’Union Africaine, de l’Organisation des Nations Unies.
Ce texte est renforcé par un protocole additionnel sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance de 2001, qui dispose en son article 1er que :
- Tout changement anticonstitutionnel est interdit de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir.
Tout Etat membre se trouvant dans ses situations définies par ses deux instruments, encourt des sanctions de la part de la CEDEAO. Ces sanctions sont variables. Elles sont décidées et appliquées au cas par cas.
II – les sanctions prévues par les instruments de la CEDEAO
Il est inutile de s’attarder à démontrer la légalité pour une organisation régionale d’intervenir au sein de ses Etats membres, de surcroit, si son action est de nature non militaire. Rien n’empêche aussi le recours à la force, à la seule limite de l’autorisation du Conseil de sécurité. La Conférence de la CEDEAO est habilitée à prononcer des sanctions en cas de prise de pouvoir par les armes et le non-respect des dispositions encadrant le retour à l’ordre constitutionnel.
Les instruments énumèrent les sanctions que les instances décisionnelles doivent prendre. L’article 45 du protocole de Dakar mentionne qu’en ;
- En cas de rupture de la Démocratie par que procédé que ce soit et en cas de violations massives des droits de l’homme dans un Etat membre, la CEDEAO peut prononcer des sanctions à l’encontre de l’Etat concerné par les sanctions.
- Lesdites sanctions à prendre par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement peuvent aller par graduation.
A l’image de l’UA et de l’ONU, la CEDEAO a abandonné les sanctions commerciales globales qui se sont révélées peu efficaces mais nocives pour la population civile de l’Etat cible et les Etats tiers. Depuis, la crise humanitaire irakienne, causée par les effets secondaires des sanctions onusiennes, les sanctions économiques sont abandonnées au profit des mesures individuelles : interdiction de voyager, gel des avoirs. Ces sanctions peuvent être prises progressivement en tenant compte de l’évolution positive ou négative de la situation en cause. Les sanctions graduelles ont l’avantage d’être souples et incitatives. Elles favorisent le dialogue. C’est en cas de manque de volonté pour le retour à l’ordre normale que les sanctions plus sévères seront envisagées (sanctions financières, sanctions économiques partielles : armes, matériels de répression, dans une certaines mesures les ressources). C’est un mécanisme qui permet de maintenir la pression contre la cible pour lui forcer au dialogue et à la mise en place un plan acceptable de sortie de crise.
Les sanctions Contemporaines visent de façon intelligente des régimes, des Etats, éventuellement leurs dirigeants. Pour épargner les tiers, on cible les responsables de l’avènement de la situation anormale, ceux qui contribuent ou favorise son maintien ou son potentiel aggravation.
Il est difficile d’évaluer l’impact des sanctions en général, particulièrement, les sanctions ciblées. En effet, ces sanctions visent des individus et concernent les déplacements, le gel des avoirs. Ces mesures sont presque inadaptées contre les membres d’une junte militaire. Les autorités militaires de transition pour de raisons de sécurité se déplacent rarement. Cependant, en cas de sanctions supplémentaire comme les sanctions économiques partielles, les sanctions financières, il y ‘aura forcément des effets sur le niveau de vie de la population dans un environnement économique difficile, marquée par les conséquences de la crise ukrainienne. Il ne faut pas aussi perdre de vue, que les économies des Etats n’ont pas les mêmes capacités de résilience, face à la conjoncture internationale doublée des sanctions économiques.
L’effectivité de ces mesures s’évaluera par rapport à la réaction de la cible. La nature du régime est déterminante dans ce cas. Un régime semi-démocratique sera enclin à sauvegarder l’image du pays qu’il dirige. Contrairement, à un régime militaire, de surcroit illégitime qui instrumentalisera ses sanctions pour espérer fédérer la population autour d’un sentiment national, souverainiste ou panafricaine. Les sanctions sont caractérisées par le rapport de force. Des considérations politiques, économiques ou stratégiques altèreront à la bonne application de sanctions. Les exigences initiales disparaitront au profit d’un compromis politique. Dans tous les cas, c’est la population qui sera plus touchée par les sanctions que le régime visé.
Amadou Lamarane Bah
Doctorant en Droit Public/FSJP/UCAD
Email : amadoulemaire@yahoo.fr