Ministère guinéen des Travaux Publics: Le ministre Naïté au cœur d’un gaspillage énorme de fonds publics ? (Par Billy Nankouma Condé)

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Si l’arrivée du jeune ministre Moustapha Naïté à la tête du ministère guinéen des Travaux Publics a suscité chez certains de ses compatriotes entrepreneurs beaucoup d’espoir, force est d’admettre que ces derniers en sont aujourd’hui réduits à se poser mille et une questions, s’agissant notamment de la réhabilitation des axes routiers, l’attribution des marchés allant avec, le contrôle de qualité etc. C’est à croire que cette arrivée n’a pas permis de mettre fin à de mauvaises pratiques comme le gré à gré, l’improvisation, qui ont fini de porter un coup fatal à la réputation dudit ministère. Venons-en plutôt à quelques constats, avec ce qu’ils suscitent comme observations…

Peu après sa nomination à la tête du ministère des Travaux Publics, Moustapha Naïté, certainement fort de sa ‘’proximité’’ avec le Président de la République, décidait lui-aussi d’inscrire ses premières actions dans la logique des « travaux d’urgence ». Il avait sans doute compris que les guinéens avaient mal à leurs routes, il fallait donc les rassurer. Il s’agissait de parer au plus pressé à la réhabilitation de plusieurs axes routiers dans le pays, prioritairement dans la capitale guinéenne.

Evidemment que dans « l’urgence », il devient très peu évident d’avoir un œil avisé sur tout, en termes surtout de montages financiers, montants nécessaires à l’exécution des travaux, conception des Appels d’offre, contrôle de qualité des travaux exécutés etc. C’est dans ce contexte qu’ayant jeté son dévolu sur Conakry, 450 milliards de francs guinéens sont débloqués à l’effet de faire exécuter rapidement des « travaux d’urgence ».

Seulement voilà, en choisissant de donner la priorité à la capitale, ce n’était visiblement pas sans arrière-pensées. Autrement dit, le ministre se serait d’abord donné la peine de faire un certain état des lieux, s’entourer de plusieurs précautions afin de ne pas rééditer les mêmes erreurs du passé. S’il l’avait fait, à moins d’avoir volontairement outrepassé, il se serait immédiatement rendu compte que deux entreprises étrangères, en l’occurrence STRAPORT Guinée-Sarl, à dénicher du côté marocain, engagé environ pour la bagatelle de 10 millions USD, et CIBITEC provenant de la Chine d’à peu près 220 millions USD, bénéficiaient déjà de contrats bien ficelés, de gré à gré, d’une valeur totale de 230 millions USD. Elles avaient à charge de donner une nouvelle vie aux voiries de Conakry avec des contrats signés plusieurs mois avant l’arrivée du ministre Naïté aux TP. Faute de suivi conséquent, il y avait manifestement là une superposition de contrats, qui plus est dans un contexte économique particulièrement difficile pour la Guinée et les guinéens.

Si tout au moins, les travaux d’urgence initiés tambour battant par notre jeune ministre des Travaux Publics, avaient fait l’objet d’une étude sérieuse préalable avant leur exécution, ou si les contrats passés dans la foulée avaient strictement obéi aux règles d’attribution de marchés publics en République de Guinée, il n’y aurait pas eu à déplorer plus tard, appelons les choses par leurs noms, un gaspillage grotesque et évident de fonds publics.
Hélas, comme si on avait choisi de foncer têtes baissées, se préoccupant d’autre chose que de la pertinence des choix opérés, des travaux ont été initiés même à des endroits où il est prévu la construction de transversales, d’échangeurs ou de ponts. Il va de soi que pour y parvenir, il va falloir détruire pour à la limite totalement reconstruire.
Une autre incongruité à relever au niveau desdits « travaux d’urgence », dont certains ont nécessité un bétonnage des carrefours en banlieue de Conakry, c’est qu’il n’y avait pas du tout longtemps, des axes reprogrammés avaient déjà été l’objet de travaux de réhabilitation, ayant mis à véritable rude épreuve la circulation automobile dans la capitale.
Il est clair que si lesdits travaux avaient été bien planifiés, inscrits dans un programme pluriannuel, il n’y aurait aucunement eu de risque à se répandre dans des dépenses aussi futiles qu’inutiles. Surtout qu’ailleurs, dans nos villes et provinces, dans le pays profond, il y en a suffisamment à boire et à manger en matière de besoin de réhabilitation de nos axes routiers.
Il se peut donc hélas que la préoccupation de notre ministre des Travaux Publics fût bien ailleurs. La façon même dont la bagatelle de 450 milliards de francs guinéens aurait, semble-t-il, été débloquée, logée dans un compte spécial, interroge. De toutes les façons, certains ministères, dont l’Economie et Finances, le Budget, surtout le ministère du Plan sont en droit de recevoir des explications claires et nettes du ministre Naïté quant à la façon dont ce montant faramineux a été dépensé. Saura-t-il le faire très aisément lorsque dans le milieu des entrepreneurs guinéens, et même au-delà, l’on continue de crier désespérément à la survivance de pratiques douteuses, telle le gré à gré, les consultations restreintes dirigées, des usages de faux dossiers de consultions lors de la passation de marchés publics ?
Des sources concordantes attestent hélas que depuis la prise de fonction du ministre Naïté aux Travaux Publics, les marchés sont attribués avant qu’il ne sollicite la dérogation aux ministres économiques, pour enfin désigner un cadre spécialiste de montages des faux dossiers auprès de la direction des marchés publics.
Comment comprendre de toutes les façons que de nouveaux montants soient débloqués pour des travaux déjà financés ? Et comme si l’on n’était pas au bout des incohérences au sein de notre ministère des Travaux Publics, pour ce qu’il est du contrat relatif au tronçon Coyah-Mamou-Dabola, attribué par consultation restreinte dirigée à une entreprise chinoise, d’un montant d’environ 380 millions USD, en l’occurrence CRBC, il était bel et bien prévu que 30% du montant global d’environ 600 millions USD (répartis entre CIBITEC 220 millions USD et CRBC 380 millions USD), soit plus de 1 700 milliards de francs, promis et instruit par le Président de la République à la cotraitance avec les entreprises locales. Qu’a fait le ministre des Travaux Publics pour faire respecter cette importance clause dans ce contrat ? Très, très peu de chose, du moins quand on se rend compte aujourd’hui de ce qui se passe sur ledit tronçon, attestent pas mal de sources. Aucune entreprise sérieuse guinéenne n’est visiblement impliquée. Et pourtant, c’est principalement par le canal de la cotraitance que s’opère progressivement le transfert de technologie, de savoir-faire, pour ne pas dire de compétence. Le ministre Naïté l’ignorerait-il par hasard ? Pour qui sait qu’il est ingénieur de formation, avec à la clé un CV particulièrement impressionnant, il est plus que permis d’en douter. C’est pourquoi donc, on peut être enclin à croire que là-aussi, mauvais souvenirs au sein du département des Travaux Publics obligent, c’était l’occasion d’abonder tout simplement dans des choix personnels. Etant donné que le plus souvent des tours de passe-passe existent pour mettre à contribution des entreprises-écrans, en vue d’obéir au principe de cotraitance. Que de gâchis donc en perspectives, si le mal n’est déjà fait !

Ils auraient pu être nettement amoindris, ces gâchis, si tout au moins le ministre Moustapha Naïté, dès sa prise de fonction, s’était donné la peine de mettre en place l’Agence routière de Guinée (AGEROUTE-Guinée), dont le décret N°D/2018/046/PRG/SGG, avait été signé depuis le 18 avril 2018. Il serait revenu de droit à cette structure étatique, sous sa bienveillante attention, de veiller au grain, d’éviter soigneusement les erreurs grossières du passé, surtout dans l’attribution, la conception, la superposition des marchés publics et contrats passés avec les entreprises.
Il semble que ce soit maintenant, c’est-à-dire pratiquement deux ans après sa nomination à la tête des Travaux Publics, que le ministre Naïté daignerait donner vie à l’AGEROUTE-Guinée. N’est-ce pas le médecin après la mort ! Comble d’ironie, pour ne pas dire de déception ou d’exaspération, c’est que dans le cadre d’une Assistance Technique au Projet dit d’Appui au Secteur des Transports, financée par l’Union européenne, tous les grands maux dont souffre depuis des décennies le secteur du transport guinéen, par ricochet le secteur routier, ont été évoqués, avec à la clé des recommandations fortes. Leur prise en compte aurait certainement permis de mettre fin à la dilapidation des ressources publiques. Le ministre Moustapha Naïté s’est-il seulement donné la peine de lire le Rapport y afférant ?
Evidemment que le tout n’est pas de l’avoir lu ou non, mais d’être suffisamment conscient de la gravité d’une situation de détérioration qui ne fait que perdurer. C’est pourquoi, à l’annonce de la saison des pluies sur la capitale, il ne faudrait s’étonner d’une brusque détérioration de la voirie urbaine, pour la simple raison que d’aucuns l’ont malicieusement voulu ainsi, parce que la qualité n’y est souvent point du tout. Et ce sera probablement le motif à de nouveaux « travaux d’urgence », pendant que les montants colossaux sortis pour les précédents devraient être justifiés.
Au vu de tout ce qui précède ou qui est écrit plus haut, il va de soi que les faits, une fois de plus, sont assez graves, pour passer inaperçus. Des mécanismes et instruments de contrôle au niveau de l’Etat guinéen existent fort heureusement. S’il y en a qui ont pu être abusés ou malicieusement contournés, d’autres sont encore susceptibles de se dresser devant. Des audits indépendamment menés pourraient davantage éclairer la lanterne des contribuables guinéens. En ces temps surtout de vaches maigrelettes où tous les Etats du monde auront du mal à juguler les méfaits de la pandémie du Covid-19.
Afin donc de parer à d’éventuels gouffres financiers, il urge de mettre de l’ordre au ministère des Travaux Publics. Pourquoi pas une instruction du chef de l’Etat allant dans le sens d’un audit des centaines de contrats passés de gré à gré, qu’ils émanent de l’entretien financé par le Fonds d’entretien routier ou les Marchés publics ? En attendant, sachez que nous ne sommes pas encore au bout des défaillances constatées avec l’arrivée du ministre Naïté aux TP.

Billy Nankouman Condé, journaliste.

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