Transition en Guinée : Idrissa Chérif brise le silence et appelle pouvoir et opposition à l’entente (Interview)
Au cours de cette interview exclusive qu’il a accordé à notre rédaction depuis la côte d’Ivoire, le président du parti Union pour le changement de Guinée (UCG) a fait un survol de l’actualité sociopolitique de la Guinée.
De la mise en place d’un cadre de dialogue, à l’organisation des élections pour le retour à l’ordre constitutionnel en passant par la détention prolongée des leaders d’opinions et des anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé, Idrissa Chérif a tout abordé.
L’ancien conseiller de Dadis Camara appelle l’ensemble des acteurs à conjuguer le même verbe pour la réussite de la transition en cours en Guinée.
Il invite par ailleurs le CNRD à ne pas avoir sur son dos les acteurs politiques les plus significatifs du pays.
Lisez Ci-dessous l’intégralité de cette interview.
Planete7 : Vous suivez à distance l’actualité sociopolitique de la Guinée. Quelle regard portez-vous sur la conduite de la transition ?
Idrissa Chérif : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour l’opportunité. Je suis à Abidjan depuis bientôt cinq ans. Je ne suis pas absent de la scène politique du pays. Je suis le vice-président de la CONAREP dont le président de ladite coalition est Siaka Barry. En ce qui concerne ma vision sur la situation sociopolitique actuelle, j’ai un regard tourné vers la junte. Et je pense que le discours tenu par le colonel Doumbouya le 5 septembre 2021, est suivi plus ou moins à la lettre quel que soit les différents commentaires, je pense qu’il n’y a pas eu de déviation. Ils ont réussi à mettre en place tous les organes de la transition, le CNT est en train de faire son travail, le gouvernement est composé de civils majoritairement. Je pense qu’à ce niveau ça va dans l’ensemble.
Vous pensez que ça va dans l’ensemble. Pendant ce temps une partie de la classe politique dénonce des manquements dans la gestion de la transition. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai, dans toute chose il peut y avoir des manquements mais on ne tient pas rigueur de ces manquements, ce sont des choses qui peuvent arriver. Ils ont mis en place des institutions comme la CRIEF qui aujourd’hui est en train d’emprisonner certains leaders avec qui je ne partage pas certains avis mais je pense que la situation en général elle n’est pas mauvaise. Il faut reconnaître que les infrastructures sont en marche aujourd’hui. Quand vous arrivez à Conakry vous verrez que les lampadaires éclairent la ville, des échangeurs sont en train de sortir de terre même s’il y a des négociations parfois. En ce qui concerne le commerce je pense qu’il y a eu la libéralisation de beaucoup de secteurs qui étaient monopolisés et cela favorise la concurrence. Aujourd’hui, il y a un seul patronat, ils ont fait en sorte que nous quittions la nation au profit de l’État. La deuxième chose c’est concernant la formation. A ce niveau, on constate que le favoritisme n’a plus sa place et c’est important. Sur le plan agricole, la Guinée a six millions d’hectares de terres cultivables. Aujourd’hui une politique agricole efficace qui est en place. Concernant le sport c’est vrai que nous n’avons pas pu faire tout ce qu’il faut mais l’espoir est permis. L’armée est en train d’être professionnalisée pas à pas. Le défi à relever c’est le défi sécuritaire auquel il faut s’attaquer. Je pense que la transition est entrain de démarrer avec force.
Malgré tout, certains acteurs politiques se retrouvent en exil. Et d’autres sont en prison pour leur gestion antérieure. Est-ce avantageux pour la transition ?
Le fait que certains opposants étaient en prison d’autres ne pouvaient pas sortir du pays, le troisième mandat, sont les principales raisons du coup d’Etat. Aujourd’hui encore des leaders comme Cellou, Sidya, Aboubacar Soumah sont en exil. Laisser les acteurs politiques majeurs à l’extérieur du pays ce n’est pas une bonne image pour nous. Je pense qu’il faut permettre à tout le monde de rentrer au pays parce que ce n’est pas le but de la prise du pouvoir par le CNRD. L’objectif était de faire en sorte que le tissu social qui était déchiré puisse être réparé. Vous savez que derrière ces leaders il y a plusieurs personnes. Que tout le monde se retrouve. Il ne faudrait pas que cette situation ait un impact négatif sur les efforts du colonel Doumbouya. Le président doit faire en sorte que tous les guinéens parlent d’une même voix. Il faut faire en sorte que Kassory et les autres soient libérés afin que le tissu social ne soit pas encore davantage déchiré. Qu’on les libère, qu’on les mette en résidence surveillée ou contrôle judiciaire. Faisons-en sorte qu’on se retrouve. Ce qui peut diviser les guinéens, on doit éviter cela. Je sais que c’est vrai, c’est compliqué, il y a eu trop de manquement dans le processus de gestion du pays antérieur, les gens se sont enrichis de manière illicite, jusqu’à confondre le bien public au bien privé. Mais aujourd’hui s’attaquer à ces gens-là, les conduire en prison, je pense que ce n’est pas de bonne augure.
Les grands partis politiques ont boudé le dialogue. Ils demandent que le cadre soit redéfini et proposent d’ailleurs qu’il se tienne hors de la Guinée si nécessaire. Quel est votre position ?
C’est vrai les partis politique n’ont pas tous participé à cette concertation exclusive, mais il faut les ramener tous sur la table de dialogue. Ceux qui ont travaillé sur ces discussions n’ont pas travaillé pour leurs partis politiques mais plutôt pour la Guinée. Mon parti l’Union pour le Changement de Guinée (UCG) qui fait partie de la coalition dirigée par Siaka Barry, la CONAREP, nous avons fait des propositions bénéfiques pour la Guinée. Mais ce qu’il faut retenir, on ne peut pas construire ce pays sans les autres. Donc il faut faire en sorte que tout le monde soit sur la table, nous avons demandé aux facilitatrices et au premier ministre de continuer à discuter avec ceux qui ne sont pas venus. Les grands partis comme l’UFDG, le RPG arc-en-ciel, l’UFR et le FNDC dissout n’étant pas présents, nous avons demandé qu’il y ait une médiation qui puisse continuer sans appel pour aller vers eux afin de les convaincre jusqu’à ce qu’on puisse trouver des solutions fiables pour tout le monde. Mais prendre les problèmes du pays pour les envoyer à l’étranger, qu’est-ce que cela peut nous apporter ? Moi je pense que cela ne peut rien nous apporter, il faut seulement avoir la volonté d’aller à la paix, la volonté de se faire confiance, de lutter contre l’injustice qui existe entre nous et faire en sorte que les différents débats que nous allons avoir, qu’on puisse véritablement aller dans une vision commune. Faire de sorte qu’on termine cette transition tranquillement. Au finish organiser les élections puis retourner le pouvoir à un gouvernement purement civil.
Dernière question, quel est votre message aux autorités de la transition, aux acteurs politiques et au peuple de Guinée ?
Je dirai tout simplement que nous devons être des acteurs majeurs, pensant véritablement à une Guinée unie face aux défis de l’avenir. Ce qui nous attend est tellement grand, nous sommes dans un pays où le PIB est de 12 milliards de dollars. C’est qui veut dire que nous ne travaillons pas, nous ne produisons pas, nous sommes assis et nous croisons les bras. Les autres pays tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Mali sont loin devant nous alors que nous avons obtenu notre indépendance avant la plupart de ces pays. Donc nous devons comprendre que les Guinéens doivent se mettre au travail, ce n’est pas tout le monde qui doit être à Conakry, nous avons 6 millions de terre cultivable et il n’y a rien dessus. Nous devons nous organiser en coopérative pour se lancer dans l’agriculture et essayer d’être au moins le grenier de l’Afrique sur le plan agricole. Je demande également au CNRD et au colonel Doumboya de faire une transition sans toucher les politiques. Ce qui se passe actuellement en Guinée ne donne pas bon signe. Quand vous voyez que des journalistes sont menacés, cela n’est pas bien, la liberté de la presse doit être existée, il faut éviter de poursuivre des journalistes. Il faut éviter de se mettre en spectacle souvent comme le font souvent certaines autorités dans les médias. Il faut travailler, poser des actes, Mamadi est en train de faire du beau travail, il ne faudrait pas cela. Je tire chapeau au premier ministre actuel qui, à mon avis est train de poser des actes très salutaires.
Entretien réalisé par Pathé Diallo DP de Planete7