Rapport de forces entre la CEDEAO et les juntes militaires : Analyse de la pratique récente de Gestion des Changements Anticonstitutionnels de Gouvernement en Afrique de l’Ouest.

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En une année l’Afrique de l’Ouest a connu cinq coups d’Etat militaires : deux au Mali, deux au Burkina Faso, un en Guinée et une tentative de coup d’Etat en Guinée Bissau. Cette forme de changement à la tête des Etats contraste avec les principes de la CEDEAO, qui condamnent toute prise du pouvoir par des moyens non démocratiques. Les coups d’Etat militaires, les réformes anticonstitutionnelles pour se maintenir au pouvoir, les crises politiques liées à la transparence des élections constituent des menaces graves pour la paix et la sécurité dans la région.

L’organisation communautaire rencontre des difficultés pour l’application des instruments pertinents en la matière. Elle est rattrapée par son attitude complice au régime civil qui procède aux reformes non démocratiques pour garder le pouvoir. Il est reproché aussi à la CEDEAO son inertie face aux menaces terroristes dans ces Etats membres et une collusion avec des puissances étrangères. Selon ces détracteurs, l’organisation n’est pas proche de la communauté, mais à la solde de l’extérieur et pour la défense des intérêts des Chefs d’Etat et de Gouvernements. C’est dans ce contexte que des militaires, pour des raisons diverses s’emparent des institutions démocratiques et s’autoproclament Chefs d’Etats. Les juntes militaires sont vues comme des sauveurs. Elles sont acclamées plus ou moins par la population, notamment la jeunesse. La CEDEAO n’entend pas laisser prospérer ces actes considérés comme des menaces contre la paix. Elle est résolue à l’application de ses principes interdisant et sanctionnant les coups d’Etat. Les autorités militaires, de leur côté, n’entendent pas accepter les injonctions extérieures. Elles s’estiment dépositaires de la légitimité et du soutien populaires pour engager des réformes politiques et sécuritaires, au mépris de ce qu’exige l’instance régionale. Elles engagent des réformes qui vont à l’encontre d’un appel pour le retour rapide à l’ordre constitutionnel. Un bras de fer s’établit entre la CEDEAO et les autorités de facto.

A la lumière de l’actualité récente au Mali, en Guinée et au Burkina Faso, on tentera de répondre à la question suivante : quelle lecture peut-on faire des relations tendues entre la CEDEAO et les juntes dans la conduite des transitions militaires ?

I – La posture radicale de la CEDEAO et les Juntes militaires

En premier lieu, la systématisation des sanctions n’a pas favorisé le rapprochement de l’organisation et les autorités militaires. Par le passé, si un changement anticonstitutionnel de gouvernement survient dans un Etat membre, la CEDEAO prend des mesures symboliques. Par la suite, elle dépêche une délégation de haut niveau pour prendre contact avec le nouveau régime et s’enquérir de la situation. Elle peut nommer à cet effet, un envoyé spécial ou un représentant permanent pour maintenir le contact et faciliter le partage des informations entre les parties.  Les réalités locales (économiques, politiques et sécuritaires) étaient prises en comptes dans les décisions sur la situation concernée. La CEDEAO encourageait le dialogue. La diplomatie était active et le contact maintenu avec les militaires. Ce rapprochement avait l’avantage d’éviter la radicalisation. C’est à travers le dialogue que des compromis étaient trouvées pour la définition des termes et contenus des transition.  L’organisation doit la réussite de ces précédentes contributions pour le retour à l’ordre constitutionnel à sa volonté d’accompagner et d’encadrer les transitions. Mais aujourd’hui, ses actions sont plus répressives qu’incitatives.

En deuxième lieu, les juntes militaires, conscientes du soutien populaire engagent des réformes dites « de refondation de l’Etat ». Elles s’offusquent de respecter les dispositions communautaires régissant les transitions notamment le respect d’une période raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel, le contenu de la transition, la nature inclusive du processus. Les militaires établissent leur propre agenda. Le dialogue est quasi interrompu. En effet, les médiateurs proposés par la CEDEAO sont systématiquement refusés, le cas où ils sont acceptés, ils doivent suivre les directives des autorités en place. Un rapport des forces s’établit en les parties. Il n’est pas sans conséquence sur le développement des processus de transitions dans ces pays.

 II – Une gestion solitaire des transitions

Les juntes entendent jouer un rôle principal dans la conduite des transitions.  Le rapport de forces semble tourner à leur faveur. En effet, le respect des principes directeurs de gestion des transitions n’est plus d’actualité. Les processus ne sont pas inclusifs. La proposition des délais acceptables pour le retour à l’ordre normal n’est plus du seul ressort de la CEDEAO. La question de la candidature des membres des juntes militaires et des gouvernements de transition reste indéterminée. Traditionnellement, le respect de ces principes constituait les conditions de reconnaissance des militaires au pouvoir. Il permettait de renouer les contacts avec la communauté internationale. Ces questions étaient réglées au début du processus de transition.  Les juntes étaient considérées comme des hors-la loi. Mais le contexte a changé. Dans un environnement de rejet des injonctions extérieures et de contestation grandissante de la présence des puissances étrangères en Afrique, c’est la légitimité de la CEDEAO à agir qui est remise en cause. On estime que la majorité de ces membres ne clarifie pas leurs positions sur le troisième mandat. Et aussi, les principes que défendent l’organisation, ne sont pas effectifs dans les pays qui sont à l’origine des contraintes contre les juntes.

La CEDEAO est presque exclue de la gestion des transitions militaires dans ces trois pays. Le Burkina Fasso qui était en étroite collaboration avec l’organisation vient de connaitre son second coup d’Etat, en moins d’un an. Elle a du mal à faire respecter ses instruments. Elle a perdu le monopole de la gestion des situations liées aux coups d’Etat. La problématique des coups d’Etat est inquiétante. La question semble être banalisée aujourd’hui. Le langage diplomatique s’est enrichi d’une nouvelle notion pour caractériser l’instabilité politique et institutionnelle au Mali et au Burkina Faso. On parle du « coup d’Etat dans le coup d’Etat ».

Il est temps de réadapter les mécanismes communautaires aux réalités nouvelles et locales. La CEDEAO gagnerait à rester constance dans ses prises des positions. Elle doit être ferme dans la défense de ses principes, devant toutes formes de changement anticonstitutionnel de gouvernement civil ou militaire. En doit privilégier en fin la gestion pacifique des crises, plutôt que la coercition.

 

Amadou Lamarane Bah

Doctorant en Droit public

UCAD/FSJP

Email : amadoulemaire@yahoo.fr

 

 

 

 

 

 

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