Procès historique dans l’affaire du massacre de 2009 : des procédures équitables, efficaces et publiques sont nécessaires pour rendre justice aux victimes (Human Rights Watch)
Le procès maintes fois retardé de 11 hommes accusés d’avoir eu une part de responsabilité dans le massacre de plus de 150 manifestants pacifiques par les forces de sécurité guinéennes dans un stade de la capitale Conakry en 2009, ainsi que dans le viol de nombreuses femmes ce jour-là, doit s’ouvrir le 28 septembre 2022. L’ouverture de ce procès constitue une étape majeure dans les efforts visant à rendre justice aux victimes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Il s’agira du premier procès relatif à des violations des droits humains de cette ampleur en Guinée. Ce procès s’ouvrira 13 ans, jour pour jour, après que les crimes ont été commis, période pendant laquelle des victimes ayant survécu – mais dont certaines sont entretemps tombées malades ou même décédées – ainsi que leurs familles, leurs avocats et des activistes ont fait campagne pour s’assurer que le procès ait bien lieu.
« Les victimes ont attendu très longtemps pour que les responsables du massacre de 2009 dans un stade de Guinée soient amenés à rendre des comptes », a déclaré Elise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « L’ouverture de ce procès permettra aux victimes de faire un pas important vers une justice dont elles ont grandement besoin après les crimes horribles commis dans le stade. »
Les manifestants au stade de Conakry protestaient contre une tentative d’accéder à la présidence de la part du leader d’un groupe qui avait réalisé un coup d’État, Moussa Dadis Camara. Des témoins ont décrit à Human Rights Watch en 2009 une scène où des cadavres étaient éparpillés sur la pelouse, écrasés contre des grilles, accrochés à des murs et empilés devant des vestiaires dont les portes avaient été fermées de l’intérieur par les quelques personnes terrifiées qui étaient arrivées les premières. Certaines victimes avaient alors été tuées à coups de couteau ou de baïonnette.
Des femmes qui ont été violées ont affirmé qu’elles avaient été tirées de force de leur cachette dans le stade, même de sous des chaises, et violées, souvent par plusieurs hommes membres des forces de sécurité. Des témoins ont affirmé que quatre femmes avaient été tuées par balles après avoir été agressées sexuellement. Les forces de sécurité se sont alors livrées à une opération organisée de dissimulation des preuves de leurs crimes, verrouillant les entrées du stade et des morgues et retirant les cadavres pour les enterrer dans des fosses communes.
Onze suspects, dont plusieurs personnalités gouvernementales et militaires de haut rang, vont être jugés. Certains sont en détention préventive depuis des années, beaucoup plus longtemps que la loi ne l’autorise, tandis que d’autres n’ont pas été arrêtés, comme Camara, qui vit en exil au Burkina Faso.
Les procès par contumace réduisent la capacité d’un accusé d’exercer pleinement son droit à une défense et devraient être évités, a déclaré Human Rights Watch. Camara a fait part de son intention de participer au procès et les autres accusés font l’objet d’une interdiction de quitter le pays, selon un porte-parole du ministère de la Justice.
Certaines victimes se sont constituées parties civiles dans cette affaire.
Une chronologie des événements et une vidéo contenant un appel à la justice de la part de victimes et d’activistes ont été publiées en 2019. Des représentants des associations de victimes, ainsi que des organisations locales et internationales de défense des droits humains, dont l’Association des victimes, des parents et des amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Amnesty International et Human Rights Watch, seront présents à l’ouverture du procès.
« Pour que la justice soit servie, ce procès devrait se dérouler de manière équitable et en présence des accusés », a affirmé Elise Keppler. « Des procédures régulières et crédibles sont nécessaires, auxquelles les victimes puissent participer pleinement, sans crainte pour leur sécurité. »
Les autorités guinéennes se sont engagées à faire en sorte que justice soit rendue pour ces crimes et ont ouvert une enquête début 2010, mais de nombreux obstacles en ont entravé les progrès, lesquels ont été lents et irréguliers. Après la conclusion de l’enquête en 2017, des organisations ont de plus en plus souvent dénoncé les retards dans l’ouverture du procès et ont exprimé la crainte d’un manque de volonté politique de tenir ce procès.
La Cour pénale internationale (CPI) a entamé un examen préliminaire de la situation en Guinée en octobre 2009 et a suivi les progrès de cette affaire depuis le début. En tant que juridiction de dernier recours, la CPI n’intervient que lorsque les tribunaux nationaux sont incapables ou indésireux d’enquêter sur des crimes graves et de poursuivre leurs auteurs. Au cours des années, le Bureau du Procureur de la CPI s’est efforcé de dialoguer de manière constructive avec les autorités guinéennes, afin de les pousser à honorer leur promesse de rendre justice dans cette affaire, efforts désormais connus sous le nom de « complémentarité positive. »
Il s’agit-là d’un rôle que le Bureau du Procureur devrait continuer à s’efforcer de jouer dans tous les pays dont la CPI est saisie de la situation, y compris en se servant des leçons tirées de la situation en Guinée dans ses interactions avec d’autres autorités nationales, a déclaré Human Rights Watch.
Le Bureau du Procureur a noté, en décembre 2020, que les autorités guinéennes n’avaient pas encore pris de mesures concrètes en vue d’organiser le procès, en dépit de multiples engagements en ce sens. Des représentants du Bureau ont effectué leurs plus récentes visites à Conakry en novembre 2021 et en septembre 2022. Un expert des Nations Unies, membre du Bureau du Représentant spécial (du Secrétaire général) sur les violences sexuelles lors du conflit en Guinée, a également travaillé avec les autorités judiciaires pendant une décennie afin de soutenir les efforts en faveur de la justice.
Le respect des droits humains en Guinée se heurte à de sérieux obstacles depuis que le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) a pris le pouvoir par un coup d’État en septembre 2021. Ce coup a renversé le président Alpha Condé. Sous ce dernier, les violations des droits humains avaient augmenté, y compris sous forme d’attaques contre l’opposition.
Le chef du CNRD, Mamady Doumbouya, a signalé qu’il soutenait les efforts en faveur de la justice et a assisté à la commémoration en 2021 du massacre. En juillet, il a indiqué que le procès devrait s’ouvrir avant la date anniversaire des crimes en 2022.
Ce procès devrait s’inscrire dans le cadre de mesures plus générales visant à assurer le respect des droits humains, notamment la levée d’une interdiction des manifestations publiques et de la dissolution de l’opposition, qui sont actuellement en vigueur, a déclaré Human Rights Watch. Un retour à un régime démocratique, ainsi que des procès des auteurs d’autres graves crimes, tels que les meurtres et autres abus commis en réponse à des manifestations de protestation généralisées en 2007, sont également nécessaires.
« Ce procès constitue une avancée sans précédent vers la justice pour les victimes en Guinée, qui devrait s’accompagner de réformes visant à permettre le respect des droits et d’autres poursuites contre des auteurs d’abus », a conclu Elise Keppler. « Le Bureau du Procureur de la CPI a joué un rôle vital en encourageant l’organisation de ce procès destiné à faire date, grâce à sa constante supervision et à ses fréquentes visites à Conakry, et il devrait continuer. »
Human Rights Watch