Vœux de Mamadi Doumbouya : Le discours et l’effacement de la figure présidentielle (Par Kossa CAMARA)

Le Président Mamadi Doumbouya s’est prêté, mardi 31 décembre 2024, pour la quatrième fois, à l’exercice très codifié de vœux du Nouvel An. Il s’est adressé aux Guinéens, depuis le palais Mohamed V, lieu d’où il exerce son pouvoir.

Dans un contexte politique et social marqué par des tensions et des inquiétudes, le Général Doumbouya a pris la parole pendant une cinquantaine de minutes pour égrener son bilan, tenter d’apaiser les Guinéens et dresser les perspectives pour l’année nouvelle. Cette adresse aux Guinéens a été diversement appréciée. Les critiques sont sévères et certaines, on ne peut plus, totalement justifiées. Ainsi, une allocution qui aurait dû redorer l’image du Président l’a paradoxalement ternie. Elle a surtout accentué la rupture de confiance avec une partie des Guinéens.

Analyse d’un discours empreint d’erreurs, d’annonces fortes et d’espoir pour des jours heureux en Guinée. Au-delà des controverses suscitées sur les réseaux sociaux avant même la fin de l’allocution, cette analyse mobilise des réflexions en communication et en sémiologie.

Précisions d’emblée que cette adresse aux Guinéens n’avait pas été retransmise en direct. Elle a été pré-enregistrée pour subir un montage excessif. La Direction de la communication de la Présidence a démontré une fois de plus son envie de mieux faire, de se démarquer et d’innover. Mais si la volonté de faire est bien là, encore faut-il en avoir les compétences ? L’image de la Guinée a trop longtemps été saquée par ceux dont la mission est de la soigner.

La première erreur de la DCI est d’avoir publié à 19h11 sur les réseaux sociaux, soit 49 minutes avant l’allocution, un visuel annonçant l’adresse aux Guinéens de Mamadi Doumbouya EN DIRECT. C’était une information à caractère manipulatoire et mensonger, et c’est un risque considéré de crise de réputation auquel la DCI s’est gratuitement prêté. Elle oublie avoir mis la photo de Mamadi Doumbouya habillé de la même manière sur la vidéo avec les mêmes inscriptions sur le pupitre. Cette annonce était trop lourde pour être vraie.

  1. Analyse du discours

L’allocution montée démarre par un aperçu du Président traversant la garde républicaine (ce sera le seul moment de solennité dans toute la séquence) pour se diriger vers le pupitre. Un brusque changement de plan avec vue de drone montre une partie du sol abimée située à deux pas du pupitre (1 : 08 de la vidéo). L’arrivée du Président devant le pupitre laisse apparaître un moment de « gêne » et d’hésitation de quelques secondes. L’axe du regard dirigé vers les équipes techniques, attendant le signal pour commencer la lecture au prompteur ne passe pas. Un nouveau changement de plan donnera le ton avec le classique « Guinéennes, Guinéens, chers compatriotes ».

La dialectique entre le personnage et le discours

Pendant que le Président s’exprime, le regard promeneur du téléspectateur peut remarquer la tenue du Chef de l’État. Inadaptée. C’est très bien de faire un clin d’œil à la culture du pays, en particulier le textile traditionnel « Forêt sacrée ». Ce n’était cependant ni le lieu ni le moment. La tenue n’était pas à l’avantage de Mamadi Doumbouya. Les vœux de Nouvel An, c’est le moment du Président, le premier magistrat qui se présente à sa population et imprime l’image de son pays aux yeux du monde. Les vœux, c’est aussi un outil d’influence. La Guinée s’en illustre moins bien depuis trois ans.

L’exagération des couleurs était insoutenable. Le décor bardé de rouge, jaune et vert n’était visiblement pas suffisant pour la Direction de la Communication. Il fallait aussi rajouter des lumières LED monochrome projetées sur le bâtiment. Cela n’évoque rien et montre, à la décharge du Président, un exercice d’improvisation.

Quand le Président évoque le panafricanisme et que ses équipes retirent le drapeau de l’Union Africaine, on s’interroge assez naturellement sur la cohérence du propos. Cela montre le repli du pays sur lui-même. Qu’est-ce qui explique l’absence du drapeau de l’Union Africaine ? La Guinée est-elle isolée diplomatiquement ? L’adresse du Chef de l’État a un problème avec les symboles, partie intégrante du discours politique. En sémiologie du discours, on parle même de la théorie du signe, sacrifiée ici sur l’autel de l’inexpérience.

Interférence dans le message

Comme pour dire que le lieu était inadéquat, un mignon chat est apparu dans le champ de la caméra au moins trois fois. La première fois, c’est lorsque le Général rendait hommage aux victimes du drame survenu au stade du 3 avril de N’zérékoré. On le voit à l’aile droite du bâtiment (2 :25). A 11 minutes, 53 secondes et 12 minutes, 29 secondes, le biquet revient mais aussitôt coupé dans son allure au montage. Trois séquences qui pourraient être un grand moment de télévision. Qu’est-ce qui a empêché les équipes de la DCI de faire un flou en arrière-plan ?

Au-delà de l’animal de compagnie, trois personnes ont parasité l’allocation. D’abord, à gauche et à l’intérieur de l’édifice, une personne très discrète, habillée en costume, assise sur un objet, manipulant son téléphone et faisant plusieurs mouvements légers (15 : 22). Ensuite, les deux militaires à droite, à l’angle du bâtiment, en extérieur, en pleine causerie.

Sinon, l’ascenseur qui monte à 20 minutes et 55 secondes ou encore le feu clignotant au troisième plan à 23 : 34. C’est trop et c’était suffisant pour refaire un nouvel enregistrement et changer de lieu. « Le diable est dans les détails », dit-on. Avouons que tout cela s’apprend – et fort heureusement.

Il y a énormément à dire sur la forme du discours, qui a brillé par l’inconsistance. Cela prendrait encore plus de lignes s’il fallait analyser l’ensemble. On va donc se faire une économie des mots et du temps en allant à l’essentiel. Rappelons le visage fermé, la mine serrée du Président qui contraste avec les vœux du Nouvel An.

La façade de l’édifice moussue, la caméra en contre-plongée, les changements excessifs de plan, des zooms et dézooms incompréhensibles, les lumières mal placées ont créé une atmosphère morose. Sur plusieurs séquences, le Président est à peine visible. Les tâtonnements, les difficultés de prononciation et de lecture suffisent à conclure que le Général Mamadi Doumbouya n’a pas été préparé à la hauteur de l’exercice. La conclusion de l’allocution ne met pas en valeur sa stature présidentielle. La fin du discours et sa prise de congé du pupitre n’auraient jamais dû apparaître sur la vidéo.

Mamadi Doumbouya et l’absence du verbe

Les discours de Nouvel An précédents (2022 et 2023) sont de loin mieux que celui du 31 décembre 2024. Même si l’histoire de l’hélicoptère est un peu trop surjouée. Tout de même. L’image du Président était quelque peu préservée.

  1. Analyse du discours

Dans le fond, le discours est rempli de tournures bavardes, de fautes morphosyntaxiques, de dépravations lexicales, d’informations de moindre importance qui l’ont rendu inaudible. Les grandes annonces et le bilan de la transition ont été dilués alors qu’ils auraient gagné à être plus clairs. Le discours était ennuyeux et rédigé avec légèreté.

Toutefois, les réformes et les réalisations annoncées, à l’actif du Président Doumbouya et de son équipe, sont à saluer. C’est le cas du renforcement des réseaux diplomatiques de la Guinée dans le monde, la couverture maladie des agents publics et des retraités, le déploiement en cours de la fibre optique dans tout le pays, la couverture sociale universelle à venir, le recours à un panel d’experts pour examiner l’avant-projet de constitution avant sa transmission au Président, le retour à l’ordre constitutionnel en 2025, la reprise totale des activités politiques, la tenue du procès historique du 28 septembre, l’indemnisation de plus 2 600 ménages déguerpies à Kaporo rails et à Kipé. « Cette réparation était attendue par nos compatriotes depuis 1998 », souligne le Général dans son discours.

La croissance économique du pays à 6,1%, deux fois supérieure à la moyenne en Afrique subsaharienne et la maîtrise de l’inflation à 7%, la réalisation des ponts, des échangeurs et le bitumage de plus de 1 000 kilomètres de routes sont des informations très importantes pour la population et malheureusement passées presque sous silence.

[1] « Je dois admettre que notre histoire est complexe. Cependant, au nom du sens des responsabilités de nos pères fondateurs jusqu’à aujourd’hui, je formule le pardon envers toutes les filles et les fils de notre pays ».

Ce passage du discours montre une volonté de cicatriser les plaies car l’histoire politique de la Guinée est douloureuse. Elle a causé plus de malheur que de bonheur, plus de haine que d’amour. Les Guinéens sont le fruit de leur passé et il faut savoir pardonner pour avancer, pardonner pour réussir les défis existentiels qui se dressent à nous, pays littoral et possiblement objet de tentatives de déstabilisation tant l’insécurité est à nos portes. En effet, ce passage aurait pu marquer les esprits ; il est cependant passé inaperçu pour deux raisons. La première s’explique par une mauvaise formulation et le style alambiqué. La deuxième tient à l’empressement et à l’absence d’empathie sur le visage de Doumbouya.

[2] « Au cours de l’année écoulée, nous avons mis en garde contre le gaspillage et les détournements du bien public. Cette vigilance sera maintenue et renforcée en 2025 ».

Début décembre 2024, un scandale financier choquant a éclaté en Guinée : le détournement présumé de plus de 700 milliards de francs guinéens, soit 76,7 millions d’euros impliquant onze douaniers, dont le Directeur général et son adjoint.

Mieux, une semaine avant le discours de Nouvel An, le pays a de nouveau été secoué par un scandale financier. « Près de quatre tonnes d’or, soit une valeur estimée à 400 millions de dollars, ont disparu après avoir été envoyées à Dubaï. Ces lingots d’or, destinés à être raffinés à Dubaï, ont mystérieusement disparu au cours du processus de transfert », rapporte la Nouvelle Tribune.

Le Président n’a même pas effleuré ces sujets. Or, la lutte contre la corruption, si elle est réelle, doit être totale. Le général Mamadi Doumbouya devait, même si l’enquête est en cours, s’y attarder dans son discours pour montrer sa volonté de frapper très fort et surtout d’informer les Guinéens, indépendamment des dépêches de la presse.

[3] « La Guinée est dotée de potentiel touristique. Le branding Guinée contribue à l’attractivité du pays dont un des objectifs est la valorisation de notre culture, la promotion de la destination Guinée ».

On voit là la main du directeur de Cabinet de la Présidence, Djiba Diakité. Le branding Guinée, c’est son « bébé » et il essaie d’en donner l’image d’un projet qui marche. Au fond, le branding, en français l’attractivité s’agissant d’un pays ou d’un territoire, n’est pas tout ce qu’on a vu depuis 2 ans. Le résultat se fait toujours attendre et les actions engagées trahissent l’esprit d’une stratégie d’attractivité dont le but premier est de faire venir du monde dans le pays et de redorer la réputation de la Guinée dans le monde. Cela ne se traduit certainement pas par un logo insolemment mis sur des documents administratifs, sur des passerelles comme celles de Tombo célébrées en toute pompe par Monsieur Diakité. Le branding, ce n’est pas non plus la réunion de tiktokeurs en Guinée comme on a pu le voir avec la soirée dite TikTok. Une analyse plus complète sur le branding Guinée sera proposée prochainement de manière détaillée.

[4] « Bâtir des institutions solides, capables de résister au temps et à la tentation des hommes ».

C’est historiquement, factuellement et techniquement impossible. Cela ressemble plus à un slogan qu’à une réalité. Les juristes constitutionnalistes le savent ; aucune institution ne peut prétendre résister au temps et encore moins aux hommes. Toutes les institutions sont par nature appelées à évoluer, à s’adapter au temps et non à le résister. Cela est vrai dans le monde entier et l’histoire est un témoin éclairé qui le prouve.

Par ailleurs, un observateur peut valablement qualifier le rédacteur de ce discours de pur populiste, et il sera difficile de le contredire. Car les références aux termes « Peuple souverain », « Guinée notre paradis », montre une influence dangereuse des réseaux sociaux dans les discours officiels où l’élégance devrait congédier la vulgarité.

En définitive et puisqu’il faut bien conclure, la DCI doit comprendre que les Guinéens ont soif d’une figure présentielle capable de les représenter. Il est de son rôle de façonner l’image du Président à la hauteur des enjeux. Les vœux étaient une belle occasion à saisir. Par conséquent, ce discours a été un moment cathartique raté.

La communication est un métier très important, y compris dans et pour un régime de transition. S’entourer de spécialistes serait un grand service rendu à la Guinée dont l’image ne cesse d’être martyrisée. Notre pays a des communicants de talents, de compétence et d’expérience. Mais encore faut-il leur faire confiance. Il faut quand même reconnaître les efforts de nomination des jeunes à des postes stratégiques dans l’administration et dans le gouvernement, y compris à la Présidence. Cependant, à la communication, les autorités peinent encore à trouver les pépites. Cette confiance dans la jeunesse doit se poursuivre mais avec plus de rigueur dans les recrutements. Ce plaidoyer s’adresse en particulier à Djiba Diakité, en sa qualité de directeur de Cabinet de la Présidence et au général Doumbouya qui préside aux destinées de la Nation.

Le discours de Nouvel An n’est pas écrit par le Président, ce qui est un euphémisme. Il est sûr que lorsqu’il visionnera sa vidéo, il en dira beaucoup de mal et trouvera sûrement des lacunes. Il est donc urgent d’éviter les erreurs à répétitions.

Un discours doit enfin avoir une âme et sa force tient notamment, comme l’écrit Roman Jakobson, dans sa fonction conative.. On peut affirmer que le Président Mamadi Doumbouya a bien réussi à susciter des réactions mais très mitigées. A qui donc la faute, lui ou la DCI ?

 

 

Source : lesconcernes.com

 

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