Tribune de Jean Paul Kotembedouno sur le mandat du conseil national de transition: ne pas mettre le juridisme et la fraude à la loi au service de l’imposture constitue une exigence intellectuelle
Dans une très longue tribune, Monsieur Jean-Paul KOTEMBEDOUNO, conseiller national, s’est employé à démontrer que mandat du Conseil National de la Transition n’est pas arrivé à expiration, en se fondant sur l’article 58 de la Charte de la Transition et l’article 3 alinéa 7 du règlement intérieur du CNT.
Il fait appel aussi à la résolution adoptée le 11 mai 2022 par le CNT pour conclure que les trente-six (36) mois retenus pour la réalisation de l’ensemble des activités prévues dans le chronogramme de la Transition arriveront à leur terme le 11 mai 2025.
Avant d’aborder quelques questions soulevées par Monsieur Jean-Paul KOTEMBEDOUNO et qui méritent des réponses, il est important de rappeler l’importance primordiale du mode de désignation des institutions qui sont appelées à gouverner un pays.
En effet, dans toutes sociétés qui se veulent démocratiques, les citoyens sont les seuls dépositaires de la souveraineté et choisissent librement les hommes et les femmes qui sont appelés à les gouverner. Ce principe est si important qu’il est mentionné en lettres d’or dans toutes les constitutions modernes. Monsieur Jean-Paul KOTEMBEDOUNO ne devrait pas l’ignorer en ce sens que même l’avant-projet de constitution dont il est l’un des principaux artisans indique avec clarté que « la souveraineté nationale appartient au Peuple.
Le Peuple exerce la souveraineté directement par la voie du référendum et indirectement par ses représentants élus ou désignés conformément à la présente Constitution » (article 3 alinéa 1er).
Les alinéas 3 et 4 du même texte précisent en des termes non moins clairs que :
« Aucun individu, aucune fraction du Peuple ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale. »
« Le principe de la République de Guinée est : le Gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple. »
Ces dispositions constitutionnelles bien que n’ayant pas été encore soumises au référendum pour obtenir l’onction populaire, ne sont qu’une reproduction de principes démocratiques classiques.
Et en raison de la résurgence du phénomène des coups d’Etat militaires, le constituant a mentionné dans les dispositions préambulaires du même avant-projet de Constitution le rejet par le Peuple de Guinée de toute forme inconstitutionnelle d’accession, de maintien et de transmission du pouvoir.
C’est dire que l’avènement d’une société fondée sur la démocratie et en particulier le libre choix par les citoyens de leurs représentants ou dirigeants constitue un principe que le constituant a toujours inscrit dans le marbre.
En raison de cette exigence, toute prise du pouvoir par des procédés non démocratiques c’est-à-dire contraires aux dispositions prévues par les normes fondamentales doit être bannie et considérée comme une parenthèse, un accident de parcours. Et une parenthèse n’a pas vocation à durer. C’est pourquoi, toutes les transitions issues d’un coup d’Etat militaires doivent être perçues comme des situations anormales et temporaires.
Le coup d’Etat du 05 septembre 2021 ne saurait échapper à cette règle, de même que les institutions qui en sont issues ne peuvent s’éterniser du moment où elles ne sont pas l’émanation de la volonté librement exprimée par les citoyens.
Quelle que soit l’importance que l’on voudrait accorder à ces institutions, elles souffrent d’un vice congénital découlant de leur manque de légitimité.
Parlant spécifiquement du CNT, elle est l’émanation d’une seule volonté, celle du Chef de la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir le 05 septembre 2021. Le défaut de légitimité de ce dernier contamine automatiquement toutes les institutions issues de sa volonté au nombre desquelles figure naturellement le CNT.
Ce dernier, comme indiqué précédemment, a été créé par la Charte de la Transition qui en fait, aux termes de son article 56, l’organe législatif de la Transition.
L’article 58 de la même Charte indique en son alinéa 2 que « Le mandat des Conseillers Nationaux court à partir de leur nomination par le Président de la Transition et prend fin dès la mise en place de l’Assemblée Nationale. »
La même règle est reprise par l’article alinéa 7 du règlement intérieur du CNT.
En réalité, ces textes consacrent la même règle contenue dans les règlements intérieurs d’Assemblée Nationale élues. C’est ainsi que la loi L/2020/012/AN du 02 novembre 2020 portant règlement intérieur de l’Assemblée Nationale de la République de Guinée dispose en son article 2 que « Le mandat des députés à l’Assemblée Nationale expire à l’installation de la nouvelle assemblée élue. »
Cette disposition vise tout simplement à éviter un vide institutionnel pendant la période se situant entre les élections législatives avec la proclamation des résultats définitifs et l’entrée en fonction des députés nouvellement élus.
Mais pour éviter un refus ou un blocage relatif à l’organisation de nouvelles élections législatives et le maintien en fonction de députés dont le mandat est arrivé à terme et qui manquent, de ce fait, de légitimité, la loi ci-dessus visée avait prévu dans le même article que : « L’élection des députés à l’Assemblée Nationale est organisée au deuxième mois du troisième trimestre de la 5ème année de la législature en cours, conformément aux dispositions du Code électoral. »
Il résulte de ces dispositions une obligation pour l’Etat, à travers l’organe électoral, de respecter le cycle électoral en organisant les élections à des dates fixes, pour éviter que des dirigeants, certes élus, mais dont le mandat a pris fin, se maintiennent au pouvoir.
Si cette exigence s’impose à des députés élus, elle s’impose a fortiori à des personnes qui ont été nommées par un Président lui-même non élu, pour exercer des fonctions législatives en jouant le rôle de la représentation nationale.
Au regard de cette situation, on pourrait dire qu’une règle prévue pour une situation normale ne devrait pas s’appliquer à une situation anormale. En tout cas pas durablement ou indéfiniment. Sinon ce serait une fraude à la loi.
En effet, si des élections législatives n’étaient pas organisées, les membres du Conseil National de la Transition pourraient rester indéfiniment en fonction sur le fondement de l’article 58 de la Charte de la Transition et 3 du règlement intérieur du CNT. Ce qui est inadmissible même pour des « élus du Peuple » à plus forte raison pour des personnes qui ne tiennent pas leur mandat du Peuple.
L’une des raisons qui ont amené les Guinéens à adhérer au coup d’Etat de décembre 2008 du Capitaine Moussa Dadis CAMARA était liée justement au fait que le mandat de l’Assemblée Nationale de l’époque était terminé depuis longtemps. Le Président de l’Assemblée Nationale d’alors ne pouvait prétendre assurer l’intérim pendant cette vacance de la fonction de Président de la République consécutive au décès du Général Lansana CONTE. Il n’en avait pas la légitimité, ce qui a facilité dans une certaine mesure la prise du pouvoir par les militaires.
Entre 2010 et 2013, la Guinée a connu une succession de manifestions très violentes à cause du refus par le Président Alpha CONDE d’organiser les élections législatives pour finaliser la Transition. Il s’accommodait du CNT d’alors, d’autant plus que celui-ci avait reçu de la Constitution de 2010 la mission d’assumer les fonctions législatives jusqu’à l’installation de l’Assemblée Nationale. Mais la même Constitution avait pourtant indiqué qu’il serait procédé aux élections législatives à l’issue d’une période transitoire qui n’excéderait pas six (6) mois à compter de l’adoption de la Constitution. ( voir les articles 157 et 159 de la Constitution de 2010).
Ainsi, même en 2010, le CNT n’avait pas vocation à rester en fonction indéfiniment, même si le Président Alpha CONDE en avait voulu autrement. Et les Guinéens se souviennent encore du nombre de morts, de blessés et de destructions d’édifices dû au refus de doter la Guinée d’une Assemblée National élue.
De 2015 à 2020, le mandat de la 8ème législature était également allé au-delà de sa durée légale. Ce qui avait provoqué une autre crise politique.
Il faut garder l’espoir que ce n’est pas ce que Monsieur Jean-Paul KOTEMBEDOUNO souhaite pour la Guinée.
Ce dernier a abordé également la question de la durée de la Transition.
A ce propos, il convient de rappeler que selon l’article 77 de la Charte de la Transition, la durée de la Transition devait être fixée d’un commun accord entre les Forces Vives de la Nation et le CNRD. En lieu et place d’un tel accord, c’est un chronogramme en dix (10) étapes qui a été soumis au CNT qui en a pris acte par la résolution N°001 du 11 mai 2024, alors qu’il n’avait aucune compétence en la matière.
Qu’à cela ne tienne, le CNT a dit dans la même résolution que l’ensemble des activités inscrites dans ledit chronogramme seront réalisées dans un délai de trente-six (36) mois. Et, détail important, la résolution invite les acteurs de la Transition à accorder la priorité à la mise en place et à l’installation de l’ensemble des institutions qui seront prévues par la nouvelle Constitution avant la fin de la Transition.
Au lieu d’accorder la priorité à la mise en place et à l’installation des institutions prévues par la Constitution, le CNRD et le Gouvernement de Transition ont préféré prioriser des actions et réalisations d’éclat, des actes de propagande, la politique politicienne, la création et le financement de mouvements de soutien pour préparer la candidature de Mamadi DOUMBOUYA à la future élection présidentielle en violation de l’article 46 de la Charte de la Transition et le serment qu’il a solennellement prêté le 1er octobre 2021 devant la Cour Suprême de la République de Guinée.
Tout cela s’est fait dans un contexte systématique et généralisé de violation des droits de l’homme à travers des meurtres de manifestants, des enlèvements et disparitions forcées, d’emprisonnements injustifiés et d’intimidations de toutes les voix discordantes de fermetures des médias les plus critiques, de délinquances économiques et financières
Le CNT dont l’une des missions est de suivre la mise en œuvre de la feuille de route de la Transition n’a pas un seul jour émis la moindre observation, la moindre critique à plus forte raison fait un rappel à l’ordre en ce qui concerne la conduite de la Transition. Il est devenu une simple caisse de résonnance, une chambre d’enregistrement, un appendice, une annexe du CNRD. Et c’est ce même CNT qui veut rester en fonction ad vitae eternam.
Monsieur Jean-Paul KOTEMBEDOUNO soutient que durée de 36 mois indiquée dans la résolution du CNT prend effet à compter de sa date d’adoption c’est-à-dire le 11 mai 2022 et finit le 11 mai 2025, puisque la loi ne dispose que de l’avenir. Mais le docteur en droit public qu’il est sait mieux que quiconque qu’une résolution parlementaire n’est pas une loi et qu’elle se définit d’ailleurs par opposition à celle-ci. Dès lors, les caractères de la loi ne peuvent lui être appliqués.
Aucune disposition de la résolution du CNT ne permet objectivement de dire que la durée de la Transition prend effet le 11 mai 2022. Il appartenait au CNT de le préciser dans sa résolution. Cette absence de précision avait même amené le porte-parole du Gouvernement à déclarer que les 36 mois devaient être décomptés à partir du 1er janvier 2023.
Pour terminer, il faut dire Monsieur Jean-Paul KOTEMBEDOUNO que le dialogue auquel qu’il invite le CNRD à avoir avec les acteurs politiques et de la société civile n’aura pas lieu. La junte militaire n’a jamais engagé un véritable dialogue avec qui que ce soit. Les semblants de dialogue qu’il a initiés étaient en fait une supercherie. Des acteurs politiques comme le leader du Bloc Libéral l’ont appris à leurs dépens. Le CNRD compte sur la force et ne connait que le rapport de forces. Il ne respectera les Guinéens que lorsque les rapports de forces tourneront en sa défaveur.
𝗦𝗘𝗞𝗢𝗨 𝗞𝗢𝗨𝗡𝗗𝗢𝗨𝗡𝗢
𝗥𝗘𝗦𝗣𝗢𝗡𝗦𝗔𝗕𝗟𝗘 𝗗𝗘𝗦 𝗦𝗧𝗥𝗔𝗧𝗘́𝗚𝗜𝗘𝗦 𝗘𝗧 𝗣𝗟𝗔𝗡𝗜𝗙𝗜𝗖𝗔𝗧𝗜𝗢𝗡 𝗗𝗨 𝗙𝗡𝗗𝗖
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