Depuis quelques jours, les conditions d’attribution d’un certain nombre de marchés notamment celles relatives à la rénovation, l’aménagement et l’équipement de la résidence du Premier Ministre, se trouvent au cœur des débats. Les commentaires vont tous azimuts.
Plutôt que de passer par des arguties dignes de véritables acrobaties juridiques pour tenter de calmer les ardeurs des débats ou de se livrer à des interprétations tendancieuses des dispositions relatives aux Marchés de gré à gré (ou entente directe), ne serait-il pas avisé de faire une lecture linéaire des procédures de passation des Marchés Publics et Délégation de Service Public ?
Aux termes de l’alinéa 2 de l’article 21 du Code des Marchés Publics « L’appel d’offres ouvert est la règle ». L’alinéa 3 du même article dispose que : « Les marchés peuvent exceptionnellement être attribués selon la procédure de gré à gré ou par entente directe dans les conditions définies dans la loi L/2012/N°020/CNT du 11 octobre 2012 fixant les règles régissant la passation, le contrôle et la régulation des marchés publics…»
L’esprit de cette disposition nous amène à poser la question suivante : Qu’est-ce que le marché de gré à gré ou marché par entente directe, ses caractéristiques ?
Un marché est dit de gré à gré ou marché par entente directe lorsqu’il est passé sans appel d’offres après autorisation préalable de la structure en charge des finances. Évidemment, l’article 38 du Code des Marchés Publics dispose qu’ « un marché est dit de gré à gré ou par « entente directe » lorsqu’il est passé sans appel d’offres, après autorisation spéciale telle que définie à l’article 39 » du décret du 17 décembre 2019 « confirmant que les conditions légales définies par la loi L/2012/N°020/CNT du 12 octobre 2012 relative aux marchés publics et délégations de service public sont réunies. La demande d’autorisation de recours à cette procédure doit décrire les motifs la justifiant. »
L’alinéa 2 de l’article 39 de ce même Code dispose que : « Tout marché de gré à gré ou d’entente directe passé sans autorisation préalable est nul et de nul effet. » Cependant, des marchés sans publicité ni mise en concurrence préalable peuvent être passés dans des cas limitativement énumérés par la loi (article 40). Cela nous amène à nous pencher sur les cas où un marché peut être passé par entente directe.
Le marché de gré à gré est réservé pour des cas bien précis définis par la règlementation de la commande publique. Il intervient lorsque les circonstances exigent une réponse rapide ou que les procédures d’appel d’offres classiques ne sont pas adaptées. Aux termes de l’alinéa 4 de l’article 11 de la loi fixant les règles régissant la passation, le contrôle et la régulation des marchés publics et délégations de service public « le marché est passé par entente directe dans les cas suivants :
-lorsque les besoins ne peuvent être satisfaits que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs détenus par un seul entrepreneur, un seul fournisseur ou un seul prestataire ;
-lorsque les marchés concernent des besoins de défense et de sécurité nationales exigeant le secret ou pour lesquels la protection des intérêts essentiels de l’Etat est incompatible avec les mesures de publicité ;
-dans le cas d’extrême urgence, pour les travaux, fournitures ou services que l’autorité contractante doit faire exécuter en lieu et place de l’entrepreneur, du fournisseur ou du prestataire défaillant ;
-dans le cas d’urgence impérieuse motivée par des circonstances imprévisibles ou de force majeure ne permettant pas de respecter les délais prévus dans les procédures d’appel d’offres, nécessitant une intervention immédiate, et lorsque l’autorité contractante n’a pas pu prévoir les circonstances qui sont à l’origine de l’urgence. »
En d’autres termes, à part les cas des deux (2) premiers tirets de l’alinéa 4 de l’article 11 susvisé de la loi fixant les règles régissant la passation, le contrôle et la régulation des marchés publics et délégations de service public, le recours au marché de gré à gré ou marché par entente directe est fait lorsqu’il y a une extrême urgence. S’agissant justement de l’urgence, le Code des Marchés Publics prévoit deux (2) : impérieuse et simple.
1.L’urgence impérieuse
Situation résultant d’évènements imprévisibles ou de force majeure pour l’autorité contractante et n’étant pas de son fait, et imposant une action immédiate.
2.L’urgence simple
Situation qui n’est pas du fait de l’autorité contractante, imposant une action rapide et justifiant, à cette fin, la réduction des délais de réception des candidatures et des offres, afin de prévenir un danger ou un retard préjudiciable à l’autorité contractante.
Les marchés qui font couler beaucoup d’encre et de salives aujourd’hui étaient-ils dans les situations d’urgence susvisées pour qu’on fasse fi de l’appel d’offres ouvert ? Y avait-il une urgence impérieuse ? Y avait-il un danger à prévenir ? Y avait-il un retard préjudiciable à l’autorité contractante ? En un mot, ces marchés étaient-ils dans l’un des cas évoqués à l’article 11, alinéa 4 de la loi visée plus haut ?
Aux fins d’éclairer la lanterne de l’opinion, n’est-il pas opportun aujourd’hui de rendre public tous les supports afférant à la passation de ces marchés, à commencer par les cahiers des charges ?
Pour ce qui est de l’appel d’offres restreint, les alinéas 1 et 2 de l’article 28 du Code des Marchés publics disposent que : « L’appel d’offres est dit restreint lorsque seuls peuvent remettre des offres, les candidats que l’autorité contractante a décidé de consulter. Cette décision doit faire l’objet d’une publication. Le nombre de candidats admis à soumissionner doit assurer une concurrence réelle. Il est ensuite procédé comme en matière d’appel d’offres ouvert.
Il ne peut être recouru à la procédure de l’appel d’offres restreint que lorsque les biens, les travaux ou les services, de par leur nature spécialisée, ne sont disponibles qu’auprès d’un nombre limité de fournisseurs, d’entrepreneurs ou de prestataires de services. De même, pour les acquisitions de certains types de biens, notamment les biens de production locale ou artisanale, il peut être reconnu à la procédure de l’appel d’offres restreint… »
A la lecture combinée des dispositions visées ci-dessus, il ressort sans ambages que la procédure de gré à gré (ou entente directe) ou d’appel d’offres restreint ou consultations restreintes, en matière de passation des marchés, sont des mesures d’exception qui ne doivent, en aucune manière, être érigée en règle.
Plus important encore, la procédure de gré à gré ne saurait cependant avoir pour effet de faire échapper l’autorité contractante à une obligation de mise en concurrence d’au moins trois (3) candidats susceptibles d’exécuter le marché, à l’exclusion des marchés de défense et de sécurité nationales exigeant le secret (article 40 du Code révisé du 17 décembre 2019 ).
Concernant le seuil du gré à gré, l’alinéa 4 de l’article 39 du même Code dispose : « la structure en charge du contrôle veille à ce que, sur chaque année budgétaire, le montant additionnel des marchés de gré à gré passés par chaque autorité contractante ne dépasse pas dix (10) pour cent du montant total des marchés publics passés par ladite autorité. »
Mais, quels sont les avantages et les inconvénients du marché de gré à gré ?
L’entente directe ou le marché de gré à gré a pour principal avantage sa flexibilité. Cependant, bien qu’il offre une opportunité pour les entreprises de travailler avec le secteur public sans répondre à un appel d’offres long et complexe, il a des inconvénients. Évidemment, cette souplesse a ses contreparties négatives.
Indubitablement, si les procédures telles que dictées dans le Code des Marchés ne sont pas respectées, il y a un risque de surfacturation. Le coût de réalisation du marché peut parfois être trop élevé. En sus, l’entreprise adjudicataire peut ne pas avoir la compétence et l’expérience requises pour réaliser les travaux.
Sayon MARA, Juriste