Lutte contre les Changements Anticonstitutionnels de Gouvernement en Afrique (Par Amadou Lamarane BAH)
Les conséquences des changements anticonstitutionnels de gouvernement (réformes antidémocratiques des constitutions pour se maintenir au pouvoir, les reformes constitutionnelles pour supprimer la limitation des mandants présidentielles, les cabales judiciaires contre des opposants en vue de les éliminer aux processus électoraux, les coups d’Etats militaires) sur la démocratie, les droits de l’homme et sur l’économie des Etats ne sont plus à démontrées. Ces phénomènes constituent aujourd’hui des graves menaces sur la stabilité des institutions démocratiques des pays africains. Ils entravent à moyen et à long terme le processus de construction démocratique et les objectifs de développement consentis ces dernières années. Les changements anticonstitutionnels de gouvernement en général et les coups d’Etat militaires en particulier constituent des menaces réelles sur la paix et la sécurité internationales. Ce sont également des facteurs des tensions entre Etats, entre puissances régionales qui ont des effets négatifs sur le tissu sociale, sur les relations de voisinage et sur l’unité africaine tant souhaité par les différents régimes depuis la vague des indépendances amorcées en 1960.
Les mécanismes africains de lutte contre toutes les formes de changement antidémocratique de gouvernement semblent montrer leur limite. Face à l’inefficacité des mesures jusque-là appliquées – mesures diplomatiques, mesures politiques, mesures coercitives non militaires et la menace constante de recourir à la force, quelles autres solutions peuvent-elles contribuer efficacement à faire face aux coups d’Etat militaire sur le continent ?
Le dispositif coercitif africain est un ensemble très varié comprenant les mesures préventives (observations électorales, financement des élections, appuis technique au processus électoraux dans les Etats, accompagnent des reformes renforçant la démocratie, l’Etat de droit, la participation au processus de paix dans les Etats post-conflit), les mécanismes de réaction et de gestion des crises déjà nées ( sanction économique, restriction aux déplacements, le gel des avoirs économiques et financiers) mais également et surtout des mesures répressives : la répression pénale. Ce dernier mécanisme occupe une place réduite dans la diplomatie coercitive africaine de gestion de crise.
L’action répressive peut constituer pourtant un levier efficace pour lutter contre les coups d’Etat militaire. Elle peut être mise en œuvre pendant la période de transition et après la phase transitoire.
I – la dimension pénale dans la gestion de crises de changement anticonstitutionnel de gouvernement
Les Etats individuellement prévoient des sanctions pénales dans leurs législations nationales contre les atteintes et la remise en cause des institutions démocratiques et républicaines. Les réformes constitutionnelles relatives à la conquête, à la gestion, au maintien et au transfert du pouvoir sont strictement encadrées. Les coups d’Etat militaires et autres menaces graves sur la stabilité des institutions sont fortement réprimés.
Cette volonté de protéger et de garantir le bon fonctionnement des institutions et le transfert pacifique du pouvoir est renforcée par les instances sous régionales et continentales. Par exemple il est prévu que les Etats parties aux mécanismes des Communautés économiques régionales : CEDEAO ou la Communauté économique Africaine : UA doivent juger les auteurs de changement anticonstitutionnel de gouvernement ou doivent prendre des mesures qui s’imposent en vue de leur extradition effective (…) d’encourager la signature d’accords bilatéraux ainsi que l’adoption d’instruments juridiques sur l’extradition et l’entraide judiciaire.
Cette disposition peut constituer un levier diplomatique et un moyen de pression considérable pour dissuader les velléités antidémocratiques. Elle peut également jouer un rôle dans les négociations de sortie de crise. C’est une option réelle pour mettre fin à l’impunité accordée aux responsables des coups d’Etats militaires. Les instances africaines doivent absolument insister pendant les périodes de transitions sur les charges pénales qui pèsent sur les commanditaires et les exécutants des actes antidémocratiques contre les institutions et les régimes démocratiquement élus.
Cette répression pénale peut être associée à des mesures politiques de non reconnaissances de toutes initiatives (loi d’amnistie, des mesures de grâces) adoptées par les institutions de transition : conseil national de transition, présidence de la transition tendant à garantir aux autorités militaires, leurs collaborateurs et soutiens une impunité totale concernant les crimes commis avant, pendant et après les transitions militaires.
Il est impératif de mettre fin également aux clauses de privilèges et d’immunités incluses dans les accords de sortie de crise pour les auteurs des coups d’Etat militaires. Les organisations internationales africaines ne doivent plus accepter la nomination au sein de leurs organes et institutions des anciens putschistes en dépit de la qualité de la conduite de la transition. Cela participe à une lutte efficace contre les velléités de remettre en cause les régimes démocratiques en place.
II – L’action pénale post-transition
La gestion des régimes issus des transitions militaires est cruciale. Une menace constante pèse sur les institutions et les nouvelles autorités. L’action pénale peut être mise à contribution pour la stabilité des institutions issues des élections censées restaurer l’ordre démocratique. La position ambivalente des dirigeants militaires ou civiles ayant conduit les transitions peut constituer une menace contre les nouveaux régimes dans les pays sortis des crises.
Il y’a une sorte de privilège et d’impunité garantis aux autorités qui ont contribuées à mettre en place un nouveau régime démocratiquement élu. Pour une lutte efficace contre les coups d’Etat militaires, les Etats singulièrement et au sein des instances sous-régionales et régionales doivent œuvrer pour poursuivre, extrader et juger les personnes présumées auteurs des putschistes militaires.
On doit plus faire la promotion des ex-putschistes dans les instances africaines (composantes civiles et militaires). De même, les Etats ne doivent plus accepter l’accréditation des membres des juntes militaires en tant que diplomates auprès de leur gouvernement nommés par les autorités militaires pendant la période de transition ou par les autorités nouvellement élues car arriver au pouvoir avec la complicité des juntes militaires, une situation comparable à une forme de récompense. En effet, on observe une campagne en faveur des autorités de transition après la remise du pouvoir aux civils au sein des organisations ; une certaine proximité et protection des dignitaires militaires par les autorités élues et les gouvernements d’autres pays. Il en est ainsi de la nomination du Général Sékouba Konaté à l’UA, après la transition en Guinée en 2010 en tant que commandant de la force en attente de l’UA, de l’exil et de la naturalisation de l’ex président Blaise Compaoré en Côte-d’Ivoire pour parer à une éventuelle extradition au Burkina FASO, « l’exil doré » du capitaine de Dadis Camara à Ouagadougou avant son inculpation dans l’affaire du massacre du 28 septembre 2009, l’exil de l’ex président Yaya Jammeh en Guinée Equatoriale après les accords de sortie de crise de 2017 sur la crise gambienne, du séjour de l’ex dirigeant burkinabé de la transition, Yacouba Issac ZIDA au Canada.
Les institutions africaines doivent exiger sans concession aux autorités militaires, des transitions inclusives, pacifiques et transparentes. Les organes des décisions doivent s’abstenir de reconnaitre toute autorité issue d’une transition avec des élections frauduleuses. Les compromissions entre les autorités militaires et un potentiel candidat à l’élection doivent être écartées et réfutées. De même, les actions tendant à permettre aux dirigeants militaires de s’effacer, de bénéficier des ferveurs et des privilèges des nouvelles autorités pour revenir et se refaire une virginité politique sont à bannir par les organisations. On doit aussi s’abstenir de reconnaitre la candidature ou l’élection d’un ancien dignitaire militaire quel que soit les qualités et les notes positives attribuées à sa gestion d’une transition. Dans la même logique, on ne doit plus reconnaitre un président élu frauduleusement dans le cas de la dévolution pacifique du pouvoir entre un président sortant et son dauphin constitutionnel pour permettre le parti au pouvoir de se maintenir sur la tête de l’Etat.
Les instances décisionnelles doivent également être exigeantes pour des élections libres, transparentes et inclusives sans la participation des acteurs des transitions dans un délai raisonnable. Les autorités démocratiquement élues après la transition doivent bénéficier des garanties pour bien mener leur politique notamment le cas elles envisageraient de faire la lumière sur les crimes de sang, les atteintes aux droits de l’homme, les crimes économiques pendant les transitions militaires. Accorder aux militaires issus d’un coup d’Etat, des soutiens, privilèges diplomatiques et financiers, soutien politiques consiste à compromettre les autorités nouvellement élues. Ainsi, l’action pénale doit jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre les coups d’Etats militaires, afin de dissuader les tentations et de contribuer à protéger les institutions post – transition. La construction démocratique s’accommode mal avec l’impunité accordé aux responsables d’atteintes graves à la stabilité institutionnelle des Etats.
Amadou Lamarane BAH
Diplômé en Relations internationales
Doctorant en Droit Public à la FSJP/UCAD
Email : amadoulemai@yahoo.fr