L’Alliance des Etats du Sahel : Faut-il y croire ? (Par Amadou Ousmane WANE)
Sous le poids de l’adversité, des défis colossaux, pour une question de survie, trois Etats liés par l’histoire, la géographie, la culture et traversant quasiment les mêmes crises ont décidé en toute responsabilité de conjuguer leurs forces respectives pour venir à bout des fléaux qui gangrènent les quotidiens de leurs citoyens. De la création de leur alliance, que faut-il retenir ? A quoi faut-il croire entre forces et faiblesses (Conséquences) ?
Ayant tous les trois connus des changements de régime non démocratiques, pour des raisons liées à la fragilité des couches sécuritaires et de la défense territoriale, le Mali suivi du Burkina Faso puis du Niger ont en septembre 2023 décidé de rebattre les cartes au sein de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Coup de bluff, sans doute non, puisque seulement quelques mois après l’entrée en vigueur de la charte du Liptako-Gourma instituant création de l’AES, c’était leur retrait en Janvier 2024 de ladite organisation régionale pour non-assistance et violation grave des principes, textes et idéaux de la CEDEAO.
Dans la foulée de la création de l’Alliance des Etats du Sahel, il faut retenir :
L’instrumentalisation de la CEDEAO
La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest comme l’indique son nom, fut créée dans le but de favoriser l’intégration économique des différents pays pour une meilleure fluidité des échanges et de la libre circulation. Mais, amer est le constat en bientôt un demi-siècle d’existence puisqu’au fil des ans, l’Organisation a été détournée des objectifs pour lesquels elle a été mise en place, au profit d’un agenda politique portant sur la paix et la sécurité, la diplomatie et toutes les questions liées à la bonne gouvernance.
D’un point de vue particulier, l’Afrique occidentale s’est montrée fébrile face aux montées des menaces djihadistes et de la mauvaise gouvernance. Dans cette tourmente, tous les yeux se sont rivés sur la CEDEAO, vue comme une solution à ses fléaux pour avoir été réorientée vers la résolution de ces problèmes par ses acteurs. Des objectifs économiques, elle s’est retrouvée à l’avant-garde des questions politiques où elle sera incapable de faire le poids pour répondre convenablement aux attentes de toute une communauté livrée à la confusion. La politique très souvent, vide de bonne foi crée plus de dégâts qu’elle n’en répare. La CEDEAO a été vendue aux différents peuples comme l’instrument politique efficient pour régler les différents problèmes et prévenir les dérives internes des Etats membres. Très vite les insuffisances d’une organisation bancale seront mises à nu au grand désespoir d’une communauté préalablement acquise.
Ainsi, les acteurs de la CEDEAO s’attèleront au grignotage des valeurs et principes de base de cette dernière en toute ignorance des enjeux et défis auxquels font face Etats et populations, dont les attentes ne sauront être incarnées pour une meilleure considération. Des coups d’Etat constitutionnels à ceux opérés par des militaires, qui pour la plupart seront soutenus, elle a su se montrer inapte à y remédier surtout lorsqu’il s’agissait de prévenir tout changement de constitution à la taille du président en place, décidé à conserver son fauteuil. Ceci sera vu comme un soutien politique de la CEDEAO à l’endroit de celui-ci qui pourtant ne pouvait recourir à un tel acte.
Les situations au Mali, Burkina et au Niger seront les gouttes d’eau qui feront déborder le vase, puisque l’attitude de la CEDEAO sera contraire aux dispositions prévues par ses textes. Une malheureuse posture qui jettera le discrédit sur une Organisation déjà vue comme instrumentalisée pour le compte d’autres agendas à des fins géopolitiques et géostratégiques. Le Mali avant son retrait en janvier 2024, avait à maintes reprises sollicité l’aide et l’assistance de la CEDEAO notamment dans la crise sécuritaire qui a éclaté en 2012 dans le sillage du coup d’Etat survenu à la même année. Dans ces moments de dure épreuve, le Mali par la voix de l’ancien président Ibrahim B Keita attendait beaucoup de celle qu’elle considérait comme une famille pour tenir face à l’ascension du mal.
Malheureusement, beaucoup d’actions pointues seront ménagées pour ignorer l’appel à l’aide de cet Etat en proie à la fragilisation. Ce qui est d’autant plus frappant, ce sont les agissements brutaux de la CEDEAO vis-à-vis des Etats du Mali, du Burkina et du Niger, qui se sont traduits par une batterie de sanctions très sévères sans répit pour les pauvres populations qui n’espéraient qu’un accompagnement pour s’en sortir et non de subir les conséquences du mécontentement d’une famille dont elles pensaient être une solution.
Par ailleurs, ce sur quoi beaucoup ne voulaient pas s’attarder, ont fini par le faire s’agissant de l’utilité de la CEDEAO si c’est pour enfoncer certains de ses Etats membres pour des faits qu’elle pouvait prévenir en proposant des solutions de réformes, qui allaient lui permettre de gagner en crédibilité en place des critiques et des doutes sur sa non instrumentalisation contre les intérêts de ses communautés et des Etats.
Le ‟deux poids deux mesures”
Si la création de l’AES n’a pas tardé, c’est en partie à cause du traitement de faveur prôné par la CEDEAO suscitant auprès des transitions des sentiments de frustration et d’abandon. Entre taillé une constitution à sa mesure d’où un coup d’Etat civil pour la plupart et celui connu par le grand public qui est vu aussi par plus d’un comme le bon si c’est pour insuffler un vent nouveau de bonne gouvernance et de développement, il aurait été bon à voir la CEDEAO sanctionné les auteurs des coups de force constitutionnels avant de faire la morale à ceux qui ne sont pas fait pour diriger de la manière dont ils sont venus au pouvoir.
A partir de là, on peut reprocher beaucoup à le CEDEAO et justifier la création de l’Alliance des Etats du Sahel sur fond de protection et de quête de souveraineté. De là, il y a de quoi à remettre en cause la nature des relations entre la CEDEAO et ses Etats membres. Sur les dernières élections présidentielles enregistrées dans la région, rares sont les présidents sortants n’ayant pas touché à la constitution de leur Etat respectif pour s’adjuger les faveurs des scrutins de manière anti-constitutionnelle. Sur ces actes, beaucoup attendaient une condamnation ferme de la CEDEAO, pour renforcer ses prérogatives et envoyer un signal fort contre toute violation constitutionnelle.
Cependant, quand au Mali, au Burkina, au Niger voire en Guinée des coups d’état ont éclaté, l’Organisation régionale n’a pas tardé à embourber ces différents Etats et leur peuple. Une décision qui aura déplu et déçu plus d’un quand les causes de ces changements de régime pouvaient être prévenues et apporter des suggestions de réformes pour créer un environnement politique et socio-économique convivial entre mandat et mandataires. S’il fallait sanctionner, même ne serait ce que de dissuader, les instigateurs des révisions constitutionnelles devraient aussi être de la partie. De ce feuilleton, tout est à imputer à la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest qui a corrompu son essence passant de l’économie aux manœuvres politiques contre les peuples.
L’inévitable rupture
Le 28 janvier 2024 marque sans doute la date de l’inévitable rupture entre la CEDEAO et les trois pays de l’Alliance des Etats du Sahel créée quelques mois plutôt sur fond de forte incompréhension et de tensions diplomatiques voire militaires in extremis. Dans le souci de prendre leur destin en main, les trois présidents de transition n’ont eu d’autres choix que de se soustraire d’une organisation non attentive à leurs difficultés et au sort de leurs concitoyens. Le Mali depuis 2012 traverse la pire crise de son histoire, mêlée à des actes de barbarie, des attaques lâches perpétrées contre des innocents citoyens obligés de tout abandonner pour leur survie. Ce fléau s’étendra au Burkina puis au Niger sans l’appui fraternel de la CEDEAO sous les regards impuissants de ces pays victimes.
En outre, c’est dans le but de combler les insuffisances de la CEDEAO que l’AES sera pensée et structurée. La mise en place de cette alliance qui prendra l’allure en juillet 2024 d’une confédération est vue comme une contrattaque et un contre-pied pour juguler les menaces terroristes et asseoir un nouvel ordre de gouvernance compatible avec les réalités des terrains sans ingérence ou instrumentalisation, mais avec des partenaires stratégiques fiables et performants pour mieux atteindre les objectifs. Avec la confédération, c’est une véritable mutualisation des forces qui s’est opérée sur toutes les lignes (diplomatie, défense et sécurité, paix, culture, finance et économie ou encore les renseignements).
Les forces et faiblesses de l’Alliance des Etats du Sahel
Avec sa création en Septembre 2023 et une première architecturale, cette alliance promet sur la durée de scintiller pour ses Etats au vu des nombreux avantages qu’elle offre. En terme de superficie, l’AES c’est plus de 2 millions de km2 et une population d’environ 70 millions d’habitants et majoritairement très jeune avec une croissance rapide pour le renforcement de son capital humain qui représente la grosse force de notre époque pour un pays ou un continent en général. Aux cotés de ces deux facteurs, il faut aussi mettre l’accent sur les inépuisables ressources dont regorge l’AES et qui sont au centre de toutes les convoitises étrangères.
Pour aller plus loin, un programme d’industrialisation, de production et de transformation de ces ressources donnera un visage encore plus séduisant à cette alliance qui doit s’inscrire sur la ligne d’un développement durable. En plus des richesses naturelles, l’AES pourrait aussi compter sur sa jeunesse avec des formations adaptées aux urgences de l’heure, des appuis et accompagnements pour rester en phase avec les objectifs à atteindre pour préserver la continuité et éviter l’effritement des acquis. La jeunesse en soi représente une force dans la mesure où elle est le socle appelée à accomplir des devoirs et à y veiller.
Toute cité est bonne lorsqu’elle sait se défendre et ceci semble être compris par l’AES car depuis sa création, on assiste à une réduction croissante du nombre des attaques en raison de des appuis mutuels militaires entre des Etats partageant les mêmes défis militaires et sécuritaires et épris des mêmes objectifs de reconquête territoriale et de sécurisation des personnes et des biens. Ce volet militaire apporte énormément aux trois Etats en manque depuis plus d’une décennie malgré de nombreuses sollicitations auprès des partenaires. Cette nouvelle forme de coopération sur ce plan a donné des résultats très probants même s’il reste encore beaucoup à faire. L’économie sur la longue pourrait être un bel équilibre si les investissements dans les secteurs clefs par des nationaux et internationaux seront consentis et accompagnés par les Etats, ce qui permettrait de réduire le chômage et booster les mannes financières.
Pour plier la liste des forces de l’AES qui n’est pas exhaustive, il faut aussi souligner le poids de la monnaie qui bien loin des réalités serait aussi une force motrice pour les trois Etats ce qui leur permettrait éventuellement de jouir de leur pleine souveraineté car ne peut jamais se dire souverain un Etat qui n’a pas la mainmise sur la gestion de sa monnaie.
Par ailleurs, l’Alliance des Etats du Sahel est une zone continentale et obligée de se tourner vers ses voisins côtiers pour ses transactions maritimes import-export. En effet, s’il faut souligner une fragilité de l’AES c’est ce manque de couverture maritime extrêmement importante pour un pays. Au-delà, certains pays voisins de l’AES se sont montrés solidaires ce qui constitue une fracture au sein de la CEDEAO là où certains demandent d’agir fort et faire regretter aux trois Etats leur retrait. On pense notamment aux conséquences qui seraient les plus répercutantes sur les Etats qui ont injustement été suspendus avant d’être rappelés à travers des signaux à revenir sur leur décision de se retirer. Imposition de visa d’entrée, fermetures d’entreprises des ressortissants des pays en question, impossibilité d’investir dans un pays membre de la CEDEAO sont quelques mesures de rétorsion qui pourraient être appliquées contre les « aesiens » si les lignes ne bougent d’ici janvier 2025.
Il est important de souligner le soutien du Royaume du Maroc à l’endroit des Etats de l’AES et du Tchad avec son faramineux projet d’initiative d’accès à la méditerranée qui serait une importante alternative pour ses Etats.
En somme, il faut miser sur cette alliance nouvelle en termes de développement durable et de bonne gouvernance qui passe par des projets prometteurs et la préservation de la continuité au sein des différents Etats.
Amadou Ousmane WANE
Analyste politique
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