Kadija Bah, présidente de G+: « nous voulons faire les choses autrement » (interview)

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Guinée Positive « Mouvement G+ » est une structure de la société civile qui vient de naître en Guinée. Le mouvement se fixe pour objectif de placer la jeunesse guinéenne au coeur des préoccupations nationales à travers tous les secteurs de développement économique et humain. 24 heures après le lancement officiel du mouvement, la présidente provisoire dudit mouvement, Kadija Bah a accordé un entretien à notre rédaction. Dans cette entrevue, elle est revenue sur ce qui a prévalu à la création du mouvement avant de décliner les objectifs visés. Lisez !!!

-Planet7: Madame Kadija Bah Bonjour! Vous êtes la Présidente du Mouvement Citoyen G+ qui vient de voir le jour. Dites-nous d’où est venue l’idée de créer ce Mouvement ?

Kadija Bah. Bonjour ! Pour commencer je vous remercie de m’avoir accordé cette interview. C’est quelque chose que nous avons mûri y a très longtemps avec un groupe d’amis. On s’est toujours posé la question de savoir comment on peut influencer pour faire bouger les lignes. Parce que, depuis un certain moment nous sommes tous dans une certaine frustration par rapport à ce qu’on voit, au niveau d’avancement de notre pays comparé à d’autres surtout pour nous qui avons eu la chance de vivre ailleurs, de voir comment le monde évolue. Donc rester dans cette frustration, ou dénoncer simplement ou agir afin de changer les choses. A force de réfléchir, on s’est dit qu’il est plus que temps qu’on s’organise, qu’on puisse agir d’où l’idée de créer ce Mouvement G+ pour apporter notre plus dans le développement socio-économique de notre pays.

-Vous auriez pu adhérer à d’autres mouvements ou plateformes de la société civile guinéenne pourtant ?

Nous avons décidé de créer ce Mouvement parce que nous voulons faire les choses autrement. C’est-à-dire en plaçant le citoyen au cœur de tous nos débats. Nous voulons faire les choses autrement en amenant les Guinéens à réfléchir sur le long terme, pour ne pas qu’on soit là toujours à gérer les urgences. Surement il y’en a qui font différemment les choses, je n’accuse pas tout le monde, mais c’est qui nous est proposé c’est plus des partis politiques, qui ont soit  l’intention de se maintenir au pouvoir, soit l’intention de prendre le pouvoir. Mais nous n’avons pas vu beaucoup d’espaces où la question du devenir du citoyen guinéen est posée.

-Dans votre déclaration vous insistez sur la nécessité de fédérer tous les citoyens sur un même idéal.  Que comptez faire concrètement ?

En fait, ce que nous comptons faire justement avec ce Mouvement c’est de l’ouvrir à tous les Guinéens. Etre une plateforme d’échange où tout le monde peut apporter sa proposition, aucune proposition n’est bête ou inutile, mais il s’agira simplement de reformuler et de voir quelles sont les urgences. Ce que nous voulons faire, c’est d’aller interroger les Guinéens ; faire des études sur le terrain ; faire des sondages pour comprendre les vraies préoccupations. Parce qu’aujourd’hui la prise de parole est complètement monopolisée par un certain nombre de personnes qui s’expriment au nom de tout le monde, mais on ne cherche pas à savoir ce que pense le Guinéen lambda. Le Guinéen qui est à Yomou par exemple ne pense pas de la même manière que celui qui est à Conakry, mais faudrait les écouter. Ce que nous voulons, c’est donner la parole à tous ces gens pour qu’on réfléchisse ensemble, qu’on décide de ce qu’on veut faire de notre pays.

-Qui sont derrière ce mouvement ? Quelle est sa particularité ?

Ce sont des fils et des filles de ce pays. Des jeunes et des moins jeunes évidemment, des juristes, des communicants, des agents de développement durable. Et ça va être tous les Guinéens quel qu’en soit leur bord politique, leurs parcours, leur sensibilité, peuvent faire partie de ce mouvement-là. A partir du moment où ils ont un projet pour la Guinée, ils peuvent partager leurs projets et ensemble on regardera comment mettre en place ces projets.

-Nous avons vu de par le passé, une société civile très forte et impliquée en Guinée. Mais de nos jours le constat est très amer. Tout le monde court derrière l’argent ou le privilège, comment comptez-vous vous y prendre face à tout cela ?

C’est un travail de long terme ! On ne va pas réussir tout de suite. Ce qu’il faut déjà, c’est de déconstruire les mentalités guinéennes. Parce que depuis un certain moment, on nous fait croire que seule la politique politicienne peut aider la Guinée à s’en sortir. Donc, même les gens qui sont dans la société civile tendent vraiment vers ça en oubliant petit à petit leur responsabilité. C’est ce qu’on nous vend. Aujourd’hui, il est temps de vendre autre chose aux Guinéens. Vendre autre chose, c’est déjà commencer à regarder ces politiques et de leur poser des questions réelles, pour qu’ils se remettent en question eux-mêmes. Aujourd’hui regardez, nous sommes à quelques jours de l’élection présidentielle, il n y a même pas un sondage d’opinion qui dit qu’elle est la perception des Guinéens vis-à-vis de la politique et de ces politiciens qui vont être les prochains candidats. Donc l’avis du citoyen n’est pas pris en compte. Ce changement se fera simplement quand les gens vont être plus critiques, quand les gens vont commencer à juger les faits et les actions plutôt que de juger les personnes. Donc c’est ce qu’on veut essayer d’amener, avec le G+. Ça va prendre du temps, on en est sûr et certain, mais il faut commencer quelque part pour pouvoir changer les choses.

 -Alors votre mouvement va-t-il travailler avec le pouvoir ou l’opposition ?

Avec tous les Guinéens comme je l’ai dit ci-haut, qui veulent construire une Guinée où l’être humain est au centre des préoccupations. Si vous êtes de l’opposition ou de la mouvance, et que vous avez un projet constructif pour la Guinée nous travaillerons avec vous. Après votre choix, vous l’exprimerez dans le secret des urnes. C’est ce qu’il faut qu’on amène dans ce pays-là ! Se dire que les élections, c’est une façon de faire une synthèse, de choisir ceux qu’on estime être bien pour notre pays, mais la vie du pays ne s’arrête pas aux élections. Une fois qu’on a élu les gens et qu’on leur a donné des responsabilités, la deuxième partie c’est de surveiller pour s’assurer que ces gens-là font leur travail. Et que si on n’est pas satisfait, la sanction se fera lors des prochaines élections. Mais malheureusement, ces 10 dernières années on ne nous parle que d’élection ! Tout le débat tourne autour de ça, on ne parle pas du vrai développement de notre pays.

 -Est-ce que vous avez des ambitions politiques derrière ?

Ce qu’il faut mettre en avant, c’est que chaque citoyen soit conscient qu’il est acteur de son quotidien. Parce que ce que nous faisons actuellement en tant que citoyen, nous sommes en train de céder le pouvoir en pensant justement que seuls les gouvernants peuvent nous apporter des solutions. Mais c’est nous qui les avons mandatés, donc nous pouvons leur dire voilà comment nous voulons que vous nous apportiez des solutions. Il est temps qu’on reprenne en main ce pouvoir, pour changer les choses petit à petit et pour faire bouger les lignes. C’est une question d’offre et de demande. Si la demande n’est pas exigeante, on va rien nous offrir d’intéressant.

Pour tous ceux qui pensent qu’il faut forcément se battre pour être au pouvoir, combien de gens nous ont promis avant d’être au pouvoir monts et merveilles ? Quand ils sont au pouvoir, qu’est-ce qu’ils font ? On les décrit, pour dire qu’on ne veut plus d’eux, on veut d’autres personnes. Qu’est-ce qui nous assure que ceux qui viendront à leur place ne feront pas pires ou mieux ? C’est quand il y aura des institutions de contre-pouvoir, quand le citoyen sera le vrai c’est-à-dire celui qui connait ses droits et devoirs, qui rappelle les gouvernants à l’ordre. C’est en ce moment seulement que les choses vont changer. Donc ce n’est pas l’intention de venir simplement au pouvoir. Selon moi, la Guinée telle qu’elle est, aujourd’hui, je ne pense pas pouvoir répondre aux attentes en étant au pouvoir. Parce qu’aujourd’hui nous sommes divisés, on s’entend plus et moi je ne pourrai pas être au pouvoir pour servir une ethnie contre une autre. Donc ce type de pouvoir ne m’intéresse pas. Le Mouvement n’a pas d’ambitions politiques parce que nous n’avons pas de candidat à la présidentielle. Nous ne comptons pas faire d’alliance avec des partis politiques et nous ne donnerons pas d’indications de vote. Ce que nous faisons, c’est d’outiller les Guinéens pour leur permettre de choisir un président qui va répondre à leur attente. Un président qui va proposer un programme qui coïncide à chaque citoyen. C’est d’outiller le citoyen pour qu’il puisse juger les résultats de nos présidents pour les sanctionner le moment venu avec un vote. Donc si on est politique c’est dans ce sens-là.

-Vous parlez également de nouvelles méthodes de critique et de suggestion basées sur la formation et l’information. Comment allez-vous parvenir à tout ça. Avez-vous les moyens de vos ambitions ?

On cherche les moyens de nos ambitions avec l’aide de tous les Guinéens. Aujourd’hui, c’est là où c’est intéressant. Vous savez, il y a beaucoup de gens en face qui se font la guerre partout en disant qu’ils défendent le bien être du Guinéen ou l’intérêt du Guinéen, ok. Maintenant, par un exemple on a un projet qui va permettre de créer de l’emploi pour mille jeunes, vous aimez la Guinée ? Prouvez-le, mettez la main à la poche pour nous aider à mettre en place ce type de projets pour que ces jeunes-là sortent du chômage plutôt que d’aller leur distribuer de l’argent individuellement. Voilà les défis que nous voulons lancer à tous les Guinéens, à tous les gouvernants, à tous les politiciens etc…

-Quel constat faites-vous de la situation socio-politique de notre pays ?

La situation socio-politique de notre pays, il y a beaucoup de dysfonctionnements.  Il n’y a plus de repère politique ! Le tissu social est complètement déchiré. Et ça c’est à l’avantage des politiciens. Le message ne passe plus entre les Guinéens, il n y a pas de plateformes pour le débat public. C’est vraiment des débats interpersonnels, donc il y a beaucoup de problèmes comme ça qu’il faut qu’on gère à notre niveau. On ne va pas attendre un magicien qui va venir d’ailleurs pour nous aider à trouver la solution. Donc la lecture qu’on fait, c’est une accumulation de frustration, de déception au niveau de la population parce que simplement on n’arrive pas à joindre les deux bouts. Mais tout le monde ne peut pas réfléchir en même temps. Tout le monde ne peut pas trouver la solution en même temps, il faut qu’il y ait des groupes de personnes, qui se mettent à réfléchir pour proposer des solutions à long terme mais aussi à court terme pour que les autres suivent petit-petit. Il faut qu’on amène le Guinéen à réfléchir parce que le cerveau humain est un muscle qu’on fait travailler, il faut l’apprendre à s’exercer autrement. Et ça commencera depuis l’école ; c’est pourquoi d’ailleurs nous voulons agir beaucoup dans l’éducation. Réfléchir pour réformer le système éducatif guinéen, pour que les enfants soient pris en charge dès l’âge de 3 ans, et qu’on leur propose quelque chose de différent dans les écoles.  Qu’on les amène à être créatifs, émotionnellement intelligents, qu’on prenne en compte leur sentiment, qu’on les apprenne à être responsables, à vivre en communauté…

– Quelle est votre position sur la question du nouveau mandat du président Alpha Condé ?

Moi je pourrai vous donner ma position sur cette question de 3e mandat en tant que Kadija Bah, mais cela ne va rien apporter. Cela va juste nourrir un débat polémique. Et nous notre combat aujourd’hui c’est de changer les choses en réfléchissant en amont. Je pense que la question à laquelle il faut se poser aujourd’hui, c’est qu’est-ce que la Guinée va devenir dans 10 ans ? Le jour où tous les Guinéens vont commencer à se respecter, c’est-à-dire quand on va aller par exemple dans une banque, on va accepter de se mettre en file et attendre son tour pour être servi, quand on est dans la circulation, dans sa voiture, on va arrêter de venir passer devant les autres et leur créer des problèmes, à partir de ce jour-là, des questions de 3e mandat ne se poseront plus. Parce qu’on aura eu une autre façon de penser, une autre façon de réfléchir. Je pense que c’est là qu’il faut agir, mais dans le show maintenant que je vous donne mon avis ça ne peut rien changer à la chose. Mais entre-temps je vais me battre pour que dans 10 ans vous n’ayez plus à me poser cette question.

-Quels conseils avez-vous à donner aux différents acteurs par rapport à la présidentielle du 18 octobre prochain ?

C’est encore d’être responsable ! C’est ce qu’on dit, amener les gens à faire la politique différemment. En politique on est responsable de nos actes, on est responsable des actes qu’on laisse faire que ça soit collectivement ou individuellement. La politique c’est de servir les autres et non de se servir, c’est d’inclure tout le monde peu importe les origines, les considérations ou religions.La politique c’est l’affaire de tous, ce n’est pas dédié à un certain nombre de personnes, pour dire que seuls eux ont le droit de parler. Tous les citoyens ont le droit de parler de politique parce qu’il s’agit de leur vie. Donc ce que nous recommandons aux gens, c’est de faire une campagne électorale responsable, c’est-à-dire respecter le droit des autres citoyens qui ne sont pas d’accord avec vous. Il ne faut pas déranger l’autrui qui vaque à ses affaires, il ne faut pas que les rues soient utilisées pour faire des campagnes, il faut que les Guinéens puissent se rendre à leurs lieux de travail, à leurs écoles sans être dérangés par tout ce qui va se passer. Parce que ça se passe dans les urnes, ce n’est pas ce tintamarre qu’on va connaitre pendant les prochains jours. Tous ces politiciens qui vont commencer à salir les rues avec des banderoles, des tissus qui vont aller dans tous les sens, créer des embouteillages…il faut qu’ils éduquent leurs militants dans ce sens.

-Justement pour vous, quel type de Président faut-il à la Guinée pour changer les choses ?

Moi, je pense plutôt à quel système faut-il mettre en place pour réussir une telle mission. Parce que tant qu’on va faire tourner tout autour de l’homme, ce n’est pas gagner ! Même dans les pays qu’on pensait être démocratiquement en avance, nous avons vus des gouvernants irresponsables, mais ces gouvernants ont des limites. Parce qu’il y a des systèmes qui ne leur permettent pas de faire tout et n’importe quoi. Je pense que c’est ce qu’il faut se poser comme question, quel système nous faut-il ? Quel système d’alternance nous va le mieux en tant que Guinéen ? Plutôt que de faire du copier-collerµ. C’est l’une des missions du G+ justement, amener les compétences guinéennes, les professionnels de tous les domaines à réfléchir autour de cette question pour faire une proposition, faire une offre. Déjà, il faut se poser comme question est-ce que faire une élection tous les 5 ans nous arrange ? Avec tout ce qu’on a comme conséquence, en terme de violence, en gabegie financière, en corruption… est-ce que c’est ce qu’il nous faut ? Avons-nous les reins suffisamment solides pour supporter tout ça tous les 5 ans ? Faudrait-il  pas mettre  en place un système qui puisse permettre aux jeunes d’avoir assez  confiance en eux pour être des candidats ? En ce moment on aura une autre idée, pour le moment ce sont les mêmes partis qui sont là depuis plusieurs années….il faut se dire que les hommes passent mais les Etats restent. Il nous faut construire de vrais Etats.

-Madame Kadija Bah, merci !

Merci à vous ! Je tiens à rappeler que nous sommes vraiment à nos débuts, on a un discours qui va petit-petit être mieux articulé. Qu’on ne se focalise surtout pas sur les personnes, mais qu’on regarde plutôt nos actions à venir, qu’on puisse nous juger sur cela. Je demande également aux hommes de médias de nous aider à proposer de nouvelles choses au niveau du débat public parce que si on ne tend le micro qu’à ceux qui ne parlent que de politique et des élections on ne pourra pas renouveler le débat. 

Entretien réalisé par Timbi Diallo 

(+224 628 58 70 01)

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