Coût économique de la corruption pour les pays africains
Considérée comme l’un des principaux freins au développement économique des pays, la mauvaise gouvernance a un coût considérable sur les économies africaines. C’est à juste titre que la 12ème édition de la conférence économique africaine (CEA) en 2017, l’a reconnu comme un grave problème en Afrique, en ce sens qu’elle entraine de mauvaises élections qui ensuite fragilisent les institutions, notamment la justice et entrave l’égalité de chances. Transparency International définie la corruption comme l’abus d’un pouvoir confié à des fins personnelles.
Malheureusement, le phénomène de la corruption est persistant dans tous les pays du monde et est devenu un fléau transnational qui s’adapte à l’évolution des TIC, des règles et de la législation. Transparency International estime que “ la corruption érode la confiance, affaiblit la démocratie, entrave le développement économique et exacerbe encore les inégalités, la pauvreté, la division sociale et la crise environnementale”. C’est une pratique qui peut se manifester dans des milieux divers : entreprises, gouvernements, tribunaux, médias et sociétés civiles, secteurs de la santé, de l’éducation, les infrastructures et le sport. Si la corruption n’est pas combattue, elle peut entrainer la perte de confiance des citoyens en leurs dirigeants et en leurs institutions avec pour corollaires des tensions sociales et parfois le risque de fragilité, de conflit et de violence.
Selon la Banque Mondiale (2023) “ la corruption est le fléau que nous ne pouvons pas esquiver pour réussir à relever les défis de notre époque et est un problème fondamental pour le développement”. En effet, pour elle, la corruption et les flux financiers illicites contribuent à amoindrir les ressources publiques et impactent négativement de ce fait les efforts de lutte contre l’extrême pauvreté en Afrique.
Pour favoriser le décollage des nos économies, les experts et les partenaires au développement s’accordent sur le fait que le défi de la mauvaise gouvernance doit être relevé. En le faisant, cela assurerait le succès des politiques publiques et donc favoriserait la transformation structurelle de nos économies et un développement inclusif.
Situation de la Corruption à l’échelle Continentale
A l’échelle Africaine, l’Union Africaine, consciente de la place de choix de la lutte contre la corruption dans l’atteinte de ses objectifs, a adopté en juillet 2003, la Convention sur la Prévention et la Lutte contre la Corruption.
Deux décennies après cette adoption, seulement 5 des 49 pays africains ont excédé la barre de 50 (sur 100) de l’indice de perception de la corruption. En 2023, le rapport de Transparency International révélait que 90% des pays de l’Afrique subsaharienne avaient un score inférieur à 50, avec une moyenne de 33. Ainsi, le défis de la lutte contre la corruption en Afrique demeure. La Carte ci-dessous nous montre l’état de la corruption en Afrique.
Graphique 1: état de la corruption dans le monde en 2023
Pourtant, selon la CEA, “dans les années 90 déjà, chaque année plus de 148 milliards de dollars étaient soustraits au continent par ses dirigeants, soit 25 % du PIB annuel perdus pour cause de corruption “. De même, en 2015, les conclusions du groupe Mbeki sur les flux financiers illicites évaluaient à plus de 50 Milliards USD, chaque année, les pertes des pays africains. A titre comparatif, les dernières estimations de la BAD révèlent un gap de financement des infrastructures de l’ordre de 68 à 108 milliards USD chaque année.
Toutefois, les experts de la CEA estiment qu’il est aujourd’hui difficile de quantifier de façon précise le coût économique de la Corruption en Afrique à cause du manque de données, la difficulté à suivre les ressources à la trace, l’insuffisance des compétences et capacités sont également des limites à l’évaluation de la corruption en Afrique
Focus sur la Guinée
Dans le cas spécifique de la Guinée, beaucoup d’acteurs du développement et de la société civile s’accordent à reconnaitre que la corruption est ancrée dans le pays. C’est d’ailleurs à juste raison que les autorités ont décidé d’en faire un cheval de bataille.
En effet, selon les résultats de l’enquête de Afrobarometre, bien qu’ayant avancé d’un rang entre 2022 et 2023 (Transparency International, Graphique 1), 62% des guinéens estimaient que la corruption avait augmenté sur cette période et que 42% des usagers des services publics avaient affirmé avoir versé un pot-de-vin.
L’évaluation de World Justice Project [1] à travers la composante “absence de corruption” de l’indice sur l’état des droits indique que le contrôle de la corruption a globalement progressé au cours des trois dernières années bien nous soyons encore largement en dessous de la moyenne régionale ( 0,29 contre 0,38) avec un rang de 28/34 des moins bien notés (graphique 2)
[1] WJP Rule of Law Index | Guinea Insights (worldjusticeproject.org)
Corruption et bien-être des populations en Guinée
Comme le stipule Afrobarometre en 2019, “La corruption entrave le développement économique, politique et social de l’Afrique. Elle représente un obstacle majeur à la croissance économique, à la bonne gouvernance et aux libertés fondamentales comme la liberté d’expression ou le droit des citoyens à demander des comptes à leur gouvernement”. De ce fait, elle constitue un frein à l’atteinte du bien-être de la société à tous les niveaux en réduisant leurs chances de vivre un avenir stable et prospère.
Bien qu’aucune étude empirique ne l’ait prouvé encore dans le cas de la Guinée, les faibles proportions et progressions des dépenses de l’État aux secteurs de la santé (une part moyenne de 3,4% dans le BND sur la période 2000-2023) et de l’éducation (une part moyenne de 12,8% dans le Budget National sur la période 2000-2023 contre 15-20% souhaité par le cadre d’action Éducation 2030) pourrait être imputable à la Corruption (World Economic Outlook).
En effet, la corruption amenuise les recettes publiques et évincent les dépenses destinées à ces secteurs clés. Au delà de la faiblesse des subventions accordées au secteur de l’éducation, le secteur en lui-même est en proie à la corruption. Les résultats de l’enquête de la 10ème édition de Global Corruption Barometer en 2019 montraient déjà que par rapport à 2018, 23% des guinéens affirmaient avoir payé des pot-de-vin ou offert un cadeau ou rendu un service à un enseignant ou à un responsable scolaire en échange d’un service dans le cadre académique. Ce taux positionnait ainsi la Guinée au 7ème rang sur 35 des pays dont le système éducatif était des plus corrompus en Afrique.
Exemple de réussite en matière de lutte contre la corruption
La lutte contre le phénomène de la corruption est certes ardue, mais les États qui s’y engagent et parviennent, obtiennent des résultats significatifs. En effet, l’un des premiers avantages est l’afflux des recettes fiscales.
L’exemple de la Géorgie qui a entamé une lutte farouche contre la corruption en 2003 en fait foi : les recettes fiscales sont passées de 12% à 25% du PIB en 5 ans, alors que les taux d’imposition avaient baissé (Mauro, Medas et Fournier, 2019). Ce succès de la Géorgie a été rendu possible grâce à une nouvelle culture du civisme fiscal qui, lui s’est amélioré à la suite de la livraison des services publics de qualité, la baisse des taux de criminalité et du nombre de coupures d’électricité et au regain de la confiance envers les dirigeants.
Canaux de transmission de la Corruption à l’économie :
Les déperditions de revenus engendrées par la corruption sont observées à plusieurs niveaux de l’appareil productif économique. Une illustration complète des canaux a été mise en place par les services du FMI en 2019 (figure 1). D’après ce schéma, la fuite des recettes publiques du fait de la corruption commence depuis la production économique aux ressources disponibles pour les dépenses de l’État en passant par les recettes rentières et le financement extérieur (dette et aide au développement).
Figure 1: Points de déperditions de ressources publiques du fait de la corruption
Quelles approches pour lutter contre la corruption
Les conséquences économiques et sociales et la nature évolutive de la corruption appellent à prendre des mesures fortes pour la bannir. Les mesures peuvent être prises à deux niveaux : (i) Au niveau national et (ii) au niveau international
Au niveau national :
Toute réussite dans la lutte contre la corruption nécessite une ferme volonté politique, de la persévérance et de l’engagement dans l’amélioration continue des institutions au fil des années.
Les autorités, pour relever le défi de la corruption doivent
Renforcer les institutions : cela passera par le renforcement de l’institution judiciaire et la mise en place de mécanisme de responsabilisation efficace. En outre, l’Etat doit renforcer la transparence dans les processus de passation des marchés publics, dans la gestion des administrations de recettes et dans le secteur des ressources naturelles. Les choix des dirigeants et cadres de ces entités et des entreprises publiques doivent être faites sur la base des critères objectifs et transparents.
S’adapter en profitant de l’essor des TIC : Aujourd’hui, l’un des moyens les plus sûr pour limiter les déperditions de recettes de l’Etat est la dématérialisation des processus. Les exemples du Chili et de la Corée cités par (Mauro et al.,2019)montrent que le système électronique de passation des marchés a aidé à améliorer significativement la transparence et à réduire les risques de corruption.
Mettre l’accès à l’information et la liberté de la presse à contribution : Il est prouvé que la liberté de la presse renforce la transparence budgétaire. Il faut mettre à la disposition de tous les moyens de dénonciation des cas de corruption sans risque de représailles. Les citoyens doivent être en capacité de demander des comptes à leur gouvernement. L’exemple de certains pays de l’Amérique du Sud (Colombie, Costa Rica et le Paraguay) oùil a été mis en place une plateforme web qui permet à chaque citoyen de suivre en temps réel l’évolution matériel et financier des projets d’investissement (Mauro et al., 2019)
Au niveau international :
Le phénomène de la corruption transcende les frontières aujourd’hui. Pour le combattre, il y a nécessité d’une coopération entre les Etats. Cette synergie d’action des gouvernements permettra par exemple de réprimer le blanchiment d’argent issus de la corruption et les flux financiers illicites sur de grands centres financiers dans le monde. Grâce à cette coopération, plus de 40 pays considèrent le versement de pots-de-vin par les entreprises pour obtenir des contrats à l’extérieur comme des crimes (Mauro et al.,2019).
Auteur : Gaston BEAVOGUI, Ingénieur Statisticien Economiste, Consultant
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