Constitution guinéenne : hier, aujourd’hui et demain ! (Par Bangaly Keita)

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Au commencement, fut le 10 novembre 1958, jour qui vit le nouvel Etat guinéen, quelques semaines après son accession à la souveraineté internationale, se doter d’une Constitution, la loi fondamentale de l’Etat.

Le texte instaure un régime de type présidentialiste avec un exécutif monocéphale. Le Président de la République, élu pour un mandat de sept ans renouvelable indéfiniment, est chef de l’Etat et du gouvernement. Les rapports entre les pouvoirs législatif et exécutif sont strictement séparés à une exception près, l’initiative des lois que le chef de l’exécutif partage avec les députés à l’Assemblée Nationale. Les ministres répondent de leurs actes devant le président de la république qui, lui, est responsable devant un parlement monocaméral (une chambre) dont il ne peut dissoudre. Le domaine du pouvoir réglementaire est circonscrit au profit de la loi. Quelques droits fondamentaux et libertés publiques sont reconnus aux citoyens. Ils concernent notamment : la liberté de parole, de presse, de réunion, d’association, de cortège, de manifestation, de conscience, l’inviolabilité du domicile, le secret de la correspondance, le droit au travail, les libertés syndicales…

Pendant 24 ans, la Constitution, fondatrice de la République de Guinée régula, tant bien que mal, la société politique, jusqu’aux lendemains de la fameuse révolution culturelle socialiste qui sonna le glas du texte.

Suivra, le 14 mai 1982, la Constitution éponyme. Elle proclame la République Populaire Révolutionnaire de Guinée et instaure le parti-Etat. Malheureusement, c’est le constat fait d’un recul constitutionnel et démocratique. A sa lecture, le texte ressemble davantage aux statuts du Parti Démocratique de Guinée (PDG-RDA) qu’à la Constitution de l’Etat.

Les timides progrès que le texte réalise ne concernent que l’institution d’un bicéphalisme au goût d’inachevé de l’exécutif, grâce à l’apparition surprenante du poste de Premier ministre. Mais, sans prérogatives véritables, celui-ci n’est en réalité que le premier des ministres. Le Président de la République, devenu entretemps, le Responsable Suprême de la révolution, conserve toujours les attributs de chef de l’Etat et du gouvernement. Son mandat est un septennat illimité. Désormais, le pouvoir législatif lui, éclate entre les mains de plusieurs entités qui ont pour nom : le congrès national, l’assemblée constitutionnelle suprême, le conseil national de la révolution, l’assemblée populaire nationale. Au niveau du pouvoir judiciaire, les juges eux dorénavant, en plus d’obéir à la loi, doivent obéir aussi à la morale dite « révolutionnaire ».

Mais, moins de deux ans plus tard, tout comme la révolution elle-même, le coup d’Etat du 03 avril qui surviendra, à la mort du Président de la République, a fait s’écrouler, comme un château de sable, le régime PDGiste et avec, la Constitution. Le vide juridique qui suivra immédiatement a prévalu, jusqu’au discours de la Baule qui inaugura, notamment pour les pays subsahariens, l’ère des démocraties multipartites.

Arriva, le 23 décembre 1990, qui vit l’Etat de droit instauré, à la faveur de la promulgation de la Loi Fondamentale, première Constitution démocratique adoptée par référendum. C’est le prologue de la consécration des partis politiques qui participent au jeu électoral et concourent à l’éducation politique et civique des citoyens.

Le texte proclame l’adhésion de la Guinée à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ainsi qu’à plusieurs autres instruments juridiques internationaux, régionaux et sous régionaux de droits humains. Pour la première fois, en plus des autres droits fondamentaux acquis, les droits à la vie et à l’intégrité physique font leur apparition dans la Constitution. Le mandat présidentiel est ramené à cinq ans renouvelable une fois. Même étant monocéphale, l’exécutif a deux têtes, dans les faits. Un Premier ministre est nommé par le Président de la République, mais sans titres véritables, celui-ci se contentera d’inaugurer les chrysanthèmes. Le domaine de la loi est circonscrit au profit du règlement. Les rapports entre l’exécutif et le législatif sont davantage poussés. En plus de domaine d’actions commun, la loi; désormais le Président de la République peut dissoudre le parlement, redevenu monocaméral, alors que celui-ci est mis dans l’obligation de démissionner grâce à l’action conjuguée de deux assemblées consécutives.

Mais le succès de la révolution constitutionnelle saluée par tous, sera de courte durée. Les appétits du pouvoir d’alors, de se maintenir au-delà de la durée de son bail, ont eu raison de l’intégrité du texte compromise à la faveur de la révision constitutionnelle du 11 novembre 2001 qui a fait sauter les verrous relatifs à la durée et au nombre des mandats du Président de la République. Dès lors, ce mandat connait, de nouveau, une rallonge de deux ans supplémentaires et renouvelable ad vitam aeternam.

Malheureusement, la réforme ainsi que le premier septennat qu’elle a ouvert furent sources de tensions politiques et précipitèrent, le pays dans une crise constitutionnelle qui, ajoutée à la longue crise politique et sociale ont conduit aux soulèvements populaires historiques de janvier et février 2007. Le régime PUP n’a dû son salut qu’à la nomination d’un Premier ministre promu par le mouvement syndical. Néanmoins, au sommet de l’Etat, mais aussi et surtout entre le pouvoir et les autres acteurs de la vie nationale, syndicalistes et opposants, la crise continua à couver, jusqu’à la disparition du Président de la République.

Le 23 décembre 2008, de nouveau, le pays renoue et pendant deux ans, avec ses vieux démons, la période d’exception avant l’avènement du texte du 07 mai 2010 qui ouvrit la voie à l’organisation des premières élections multipartites et libres qui permirent au pays de rétablir l’ordre constitutionnel.

Dans la conception et l’élaboration de son texte, le Constituant du 07 mai sembla plus averti que ses prédécesseurs, en tirant quelques grands enseignements de l’évolution constitutionnelle du pays.

A cette occasion, le poste de Premier ministre est restauré, cette fois avec des prérogatives bien définies. En plus de la coordination de l’action gouvernementale, celui-ci participe à la désignation des ministres et dispose de l’administration publique notamment, même si dans la pratique, il en alla tout autrement. Le serment présidentiel est institué. L’âge minimum à la candidature à l’élection présidentielle baisse, 35 ans révolus. La moralisation de la vie publique est prononcée avec l’instauration du régime de déclaration de biens de hauts commis de l’Etat. Les intangibilités constitutionnelles sont renforcées, outre la forme républicaine de l’Etat, la laïcité et la séparation des pouvoirs, on y ajouta le pluralisme politique et syndical ainsi que le nombre et la durée des mandats du Président de la République.

Cependant, dix ans plus tard, les partisans d’une réforme constitutionnelle en 2020 opposèrent au texte, son défaut de légitimité démocratique, plaidoyer qui du reste n’était pas non plus sans pertinence, à bien des égards, surtout en matière de constitutionnalisme, pour le ranger définitivement aux armoires. A la faveur d’un processus référendaire fort mouvementé du fait de l’opposition d’une frange de la société, le texte est abrogé, sans que l’ensemble des institutions qu’elle avait promues n’aient été installées.

Alors succéda, le 06 avril 2020, la Constitution de substitution après qu’elle ait nourri une polémique sans précédent. Contre le processus, un soupçon de changement frauduleux du texte soumis à référendum pèse. Mais, le juge constitutionnel dont l’indépendance, à tort ou à raison, avait été remise en cause, trancha le débat en faveur des défendeurs. Dans le fond, le nouveau texte ressemble mot pour mot à l’ancien, sauf qu’entretemps, le mandat présidentiel est passé à six ans renouvelable une fois. Plus éphémère dans l’histoire constitutionnelle, le texte n’a trôné que le temps de voir se consacrer le premier sextennat présidentiel, 17 mois plus tard, avant que le texte ne décline, le putsch du 05 septembre ayant eu raison de son prometteur, le régime RPGiste.

Quelle leçon découle de cette esquisse de l’histoire constitutionnelle de notre pays ? sinon la simple vérité historique de l’évolution trouble de notre société politique. En l’espace d’un peu plus d’un demi-siècle de souveraineté nationale, le pays a connu déjà six Constitutions, plus une réforme constitutionnelle, alors que pointe à l’horizon, la perspective d’un nouveau texte, au sortir de la crise actuelle.

Cette crise constitutionnelle chronique qui impacte les conditions et modalités de conquête, d’exercice et de transmission du pouvoir politique est la preuve irréfragable, si besoin en était encore, de notre échec collectif à respecter et à faire respecter les différents régimes applicables aux matières spécifiques régulées.

A l’occasion de chaque crise, notamment, pour la dévolution du pouvoir politique, les prescriptions constitutionnelles sont écartées au profit de l’argument de la force. Et ce remède, toujours pire que le mal, a fait causer au pays des situations bien plus déplorables que celles qui seraient nées en suivant la logique constitutionnelle. 65 ans après l’avènement de l’Etat, à une exception près, la dévolution du pouvoir n’a jamais été ni constitutionnelle, ni démocratique en Guinée. Toute chose qui favorise l’avènement au pouvoir de Chefs, mal préparés, quant à l’exercice du pouvoir d’Etat.

Longue et lancinante, cette crise nourrit aussi la crise de gouvernance, dont les effets pervers sur le développement socio-économique ne sont plus à démontrer. Malgré les énormes potentialités, le pays traine toujours à la queue des pays les moins avancés de la planète.

Pourtant, partout et toujours, le salut de l’Etat, dans l’accomplissement de ses fonctions régaliennes que pour la promotion du développement, réside dans sa capacité à organiser et à faire fonctionner, de manière stable, les organes qui participent à son action, sans discontinuité, aucune. Autrement, plus un Etat est stable, plus il se développe, plus il y a une continuité dans ses actions, plus il y a de progrès. Il en va ainsi, du dessein de construction et de renforcement démocratique.

Mieux, c’est dire que le constitutionnalisme vise à instaurer une stabilité au sein de l’appareil d’Etat, de manière à garantir une continuité dans et de son action, au-delà des acteurs circonstanciels qui l’animent.

Aujourd’hui, au moment où se discute, la perspective d’une nouvelle Constitution pour favoriser le retour à l’ordre constitutionnel, il convient de procéder au bon diagnostic du problème constitutionnel guinéen pour ainsi, permettre effectivement que les fruits portent la promesse des fleurs.

Sinon, pour ma part, l’enseignement qu’on tire de cette matière, c’est que le problème, c’est moins les textes que notre échec collectif à les respecter et à faire respecter. Aussi, c’est moins la nature du régime que la capacité des gouvernements successifs à formuler les meilleures réponses aux problèmes de société. A l’exception du texte du 14 mai 1982, les constituants guinéens ont toujours été bien inspirés dans la construction des institutions ainsi que la définition de leur interaction.

En clair, cette crise a pour chefs d’accusation : le déficit de culture démocratique et de citoyens responsables et exigeants, le dysfonctionnement des institutions, les insuffisances chroniques des dirigeants.

Alors, à l’occasion de la réforme constitutionnelle à venir, il faut éviter de réinventer la roue, par l’instauration de régimes impraticables, d’établissement d’institutions inefficaces ou de définir des solutions impossibles à mettre en œuvre aux matières spécifiques, notamment l’exercice et la dévolution du pouvoir d’État. Un tel aboutissement sera l’échec assuré de l’avenir constitutionnel et pour longtemps de notre pays.

Sinon, malgré ses nombreuses lacunes, pour ma part, le régime présidentialiste reste et demeure encore, le meilleur système politique pour notre pays. En plus, l’expérience qu’on a acquise de son fonctionnement pourra constituer un tremplin à un succès à venir.

Aujourd’hui, le pays est au rendez-vous de l’histoire. Il est condamné à réussir ce processus pour que demain soit meilleur. Il en va de notre avenir, de notre devenir à tous.

Bangaly KEITA

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