Francesco Galtieri représentant de l’UNFPA en Guinée: « il faut traiter la population davantage mieux qu’on ne traite la bauxite ou d’autres ressources… »

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En fonction en Guinée depuis 15 mois maintenant, le représentant du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) a accordé une interview exclusive à notre rédaction pour évoquer tous les sujets liés à son institution en Guinée. A cœur ouvert, avec une facilité déconcertante, Monsieur Francesco Galtieri parle avec maitrise de tous les domaines d’intervention de l’UNFPA, sa mission, ses réalisations, ses rapports avec l’Etat et la société civile. Bref tout ce qui intéresse les questions de vie. Lisez !

Planete7.info : Bonjour Monsieur. Svp présentez-vous à nos internautes ?

Francesco Galtieri : Bonjour à vous et à vos internautes. Je m’appelle Francesco Galtieri, je suis le représentant en Guinée du fonds des nations unies pour la population (UNFPA).

Alors parlez-nous de l’UNFPA, sa composition, sa mission en Guinée ?

L’UNFPA c’est l’agence du système des nations unies qui s’occupe des questions de vie qui concerne tout le monde: parce qu’on assiste les femmes en grossesse, on accompagne les jeunes familles à planifier quand est-ce avoir des enfants et quel est le meilleur espacement pour assurer la santé de la famille en même temps un épanouissement de l’enfant, mais on s’occupe aussi des questions liées à l’élimination de toutes violences faites aux femmes et de toutes pratiques néfastes ainsi qu’à l’accompagnement des jeunes le développement de leur compétence de vie pour essayer d’atteindre, réaliser leurs ambitions.

Depuis que vous avez pris fonction en Guinée, quelles sont vos réalisations, vos domaines d’intervention ?

Je suis en Guinée depuis 15 mois. Mais ce que j’ai eu à témoigner à travers le travail de l’équipe de l’UNFPA en Guinée, c’est qu’on a continué à avancer les efforts nationaux vers l’élimination de toutes formes de décès maternel, donc tout décès qui a lieu au moment de l’accouchement. En même temps on essaye d’accompagner l’ensemble de la santé maternelle, pendant les grossesses et au moment de l’accouchement, jusqu’au dernier kilomètre, aussi dans les régions, dans les préfectures et sous-préfectures. En même temps on travaille beaucoup pour accompagner les efforts nationaux de planification familiale et donc justement de l’espacement des naissances pour minimiser les risques lors des grossesses, et aussi afin que les couples décident d’avoir des enfants dont ils sont en mesure de s’occuper, d’un point de vue économique, nutrition, de les envoyer à l’école. En deuxième volet sur lequel on a quand-même pu accompagner des réalisations liées à l’égalité des femmes et à l’élimination des violences de genre, on opère dans plusieurs régions ici en Guinée et d’un côté pour le volet d’épanouissement et de réalisation en quelque sorte des ambitions et des projets de vie des jeunes femmes et des jeunes filles Guinéennes. On accompagne un programme d’autonomisation et de valorisation des filles de Guinée pour maximiser leurs potentiels.  On travaille aussi de façon étroite avec le ministère de la promotion féminine, de l’enfance et des personnes vulnérables sur tout ce qui est appui à la chaîne de la protection contre les violences: tout d’abord la prévention de toutes pratiques qui apporte un préjudice aux femmes notamment les mutilations génitales féminines, les mariages précoces et les forcés, les grossesses non désirées, les violences basées sur le genre…Donc sur tout ce volet on accompagne les préventions et donc aussi de changement de comportement et d’évolution des comportements socio-culturels. Deuxièmement on accompagne aussi dans la chaîne de la protection l’assistance médicale psychosocial et dans certains cas aussi économiques des femmes et filles survivantes de violence et cela en partenariat avec l’ensemble des acteurs impliqués (l’OPROGEM, la Gendarmerie, la police nationale, les institutions judiciaires) sous la coordination du ministère de la promotion féminine, de l’enfance et des personnes vulnérables. Par exemple nous faisons partie de l’initiative de la mise en place du numéro vert gratuit pour dénoncer les violences faites aux femmes, de l’introduction de l’application alerte VBG, mais on fait aussi un travail d’habilitation communautaire, donc on accompagne les communautés guinéennes vers la déclaration d’abandon de certaines de ces pratiques néfastes en adoptant ce qu’on appelle les familles et les maris modèles. Et le dernier volet sur lequel on a fait beaucoup d’efforts depuis presque deux ans. C’est l’accompagnement du ministère du plan et de la coopération internationale à la réalisation du recensement général de la population et de l’habitation qui est le 4e recensement général pour la Guinée. Donc sur ces questions de population et de statistiques démographiques, on est l’agence d’assistance technique principale, donc on déploie aussi des compétences et des appuis sur ce domaine.

L’objectif de votre agence consiste à construire « un monde où chaque grossesse est désirée, chaque accouchement est sans danger et chaque jeune personne peut exprimer pleinement son potentiel ». Alors est-ce que vous avez réussi à atteindre cet objectif aujourd’hui ?

Malheureusement on n’a pas des chiffres mis à jour sur l’échelle nationale parce que les statistiques concernant ces indicateurs sociaux on les collecte à travers les enquêtes démographiques de santé, les EDS. La dernière enquête démographique de santé en Guinée a eu lieu en 2018, et heureusement qu’on est en train de préparer en collaboration avec le gouvernement, la prochaine enquête démographique de santé. Cependant, à défaut d’avoir des données à l’échelle nationale, nous accompagnons des exercices plus ponctuels, par exemple concernant l’élimination des décès maternels évitables, on accompagne les inspectorats régionaux de la santé ainsi que les directions préfectorales dans les exercices de revues des décès maternels. À travers les statistiques produites par le ministère de la santé et l’hygiène publique au niveau régional, on est en train de d’observer des améliorations notamment surtout en terme d’accouchement assisté par du personnel de la santé, ce qui est en général une activité très importante et un moment qui mène à une baisse des risques des décès maternels. Mais sur la base de la dernière enquête démographique de la santé en Guinée, on part d’un chiffre très élevé qui est de 550 décès par 5000 naissances vivantes, donc on parle presque de 6 décès de femmes par jour en Guinée. Mais on espère observer que le puisse atteindre la cible qu’on s’était donnée d’environ 330 décès sur la période concernée par les objectifs du développement durable. En ce qui concerne les grossesses désirées, on mesure ça en relation à l’augmentation des femmes et filles qui utilisent des méthodes de contraception modernes. Et chaque année l’UNFPA appuie sur toute l’étendue du territoire national des campagnes de planification familiale et pas seulement le nombre de nouvelles utilisatrices est en train d’augmenter mais on est ravi par le fait que dans de plus en plus de cas ces nouvelles utilisatrices se rendent voir des sages-femmes ou du personnel de la santé pour se planifier avec leurs compagnons. Enfin un mot lié aux statistiques sur le taux de violences basées sur le genre, c’est un domaine dans lequel, normalement c’est une augmentation des cas déclarés qui nous indique qu’on est sur le bon chemin. Quand on voit les cas déclarés augmenter c’est que les consciences sont en train de changer. Mais c’est qu’on observe, c’est les cas qui passent en justice et pour lesquels des accusés sont condamnés. On observe des améliorations à ce niveau mais quand on prend les chiffres qui nous ont été présentés par les dernières enquêtes sur l’étendue du territoire national, on parle encore d’environ 8 femmes sur 10 en âge adulte qui ont subi une forme de violence dont environ 1/3 donc 3/10 qu’ils ont subi dans leur vie adulte une forme de violence sexuelle. Un autre indicateur qui est tout récent, lors d’une étude menée par l’institut afrobaromètre, sur le continent africain, il en est ressorti que pour environ 70% de la population guinéenne (toutes tranches d’âge, sexes confondus…) trouve que les questions de violences sexuelles sont d’ordre privé. Et environ 65% des interviewées estiment que les violences faites aux femmes sont un phénomène acceptable au niveau de la société.

Qu’en est-il de la césarienne ?

Dans le cadre du nombre plus élevé d’accouchements assistés, on observe un nombre de césariennes qui sont bien gérées. Je dois dire que dans les districts sanitaires où on observe un taux de fréquentation des consultations prénatales plus élevées que la moyenne nationale, des femmes arrivent à accoucher dans les hôpitaux, dans les centres médicaux ayant pas besoin d’une césarienne. D’un côté nous accompagnons le don à l’Etat des médicaments qui sauvent des vies justement lors des après complications obstétricales et des accouchements plus complexes. On continue à assister de façon et de plus en plus professionnelle grâce aussi au mentorat des sages-femmes que l’UNFPA sponsorise et finance jusqu’au dernier kilomètre, on observe moins de décès, moins de césarienne dans certains cas mais tout cela grâce aux actions préventives et une présence de proximité des services de santé grâce aux efforts du ministère de la santé et des partenaires.

Est-ce que vous avez des représentations à l’intérieur du pays ? Comment se passe la coordination de vos activités ?

Nous sommes présents à Labé, Kankan, N’zérékoré, à Mamou et à Kindia. Nous avons ces sous bureaux régionaux avec des petites équipes. La coordination se passe à deux niveaux : il y a une coordination sur la cohérence d’approche et d’intervention de l’UNFPA en ligne avec notre cadre de coopération qui est élaborée conjointement au ministère au niveau central. Dans la mise en œuvre, la cohérence est assurée par le développement des plans de travail annuel au niveau des gouvernorats, nos équipes basées dans les régions élaborent sous la coordination du gouverneur et en consultation très étroite avec les inspecteurs régionaux, les activités liées au mandat de l’UNFPA dans le cadre de notre document de coopération que pour l’année vont accompagner les services déconcentrés à atteindre les résultats souhaités. 

Quels sont vos rapports avec le gouvernement guinéen mais aussi les ONG qui interviennent dans le domaine lié aux femmes et aux enfants ?

Nous sommes une organisation multilatérale, une organisation intergouvernementale. Ça nous revient à la fois d’accompagner les gouvernements des pays membres des systèmes des nations unies à rendre leurs engagements internationaux une réalité pour les populations.  Comme on aime l’appeler chez nous, contribuer à assurer les droits et les choix des gens. Donc on collabore de près avec le gouvernement à la fois dans l’établissement et la réalisation de ses priorités mais aussi dans la promotion d’une dynamique vertueuse, dans le dialogue entre le gouvernement et la société civile. Par exemple nous avons accompagné le ministère de la jeunesse et des sports pour la mise en place du conseil national de la jeunesse à tous les niveaux décentralisés de l’Etat. Parce que dans notre objectif d’aider la jeunesse à réaliser pleinement son potentiel, on sait qu’il faut que cette jeunesse soit écoutée et à la fois que cette jeunesse sache parler et engager les adultes et les décideurs ou les autres membres de leur communauté. Donc en plus de coordonner nos actions sous le leadership gouvernemental et de contribuer à un dialogue constructif entre le gouvernement et la société civile dans nos domaines d’intervention, on travaille avec la société civile à trois niveaux : le premier niveau c’est le niveau opérationnel. Deuxièmement on a des partenariats institutionnels à la fois avec les organisations de la société civile guinéenne voire basée en Guinée et à la fois des organisations de la société civile basée dans la sous-région. Et le troisième domaine pas des moindres, c’est le domaine des plaidoyers pour l’amélioration des cadres législatifs, pour l’augmentation des investissements dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive et de l’élimination des violences basées sur le genre, plaidoyers autour aussi des changements des normes socio-culturelles.

Pour l’année 2024 quelles sont vos perspectives en Guinée ?

L’année 2024 est l’année qui marque le début de notre nouveau plan cadre de document de coopération avec le gouvernement de Guinée et les organisations de la société civile, les populations guinéennes. C’est un programme qu’on a décidé en commun accord avec les partenaires et celui de notre conseil d’administration de mieux cibler pour valoriser davantage les volets de plus valu que le gouvernement et les partenaires Guinéens trouvent dans la contribution de l’UNFPA. Vraiment se situer de plus en plus en complémentarité avec les efforts nationaux vers le renforcement du système de santé, d’approvisionnement des médicaments, de protection des femmes et filles contre les violences basées sur le genre, du système des statistiques nationales, donc vraiment prendre les efforts nationaux, regarder aux investissements de l’Etat, identifier quels sont les créneaux d’assistance technique sur lesquels l’UNFPA peut apporter une vraie valeur ajoutée. Deuxièmement renforcer la réduction des décès maternels, le renforcement de la planification familiale à travers surtout un accompagnement cible aux métiers de la sage-femme jusqu’au dernier kilomètre. Un renforcement davantage de la chaîne d’approvisionnement des médicaments pour la santé maternelle et un accompagnement à ses plans de riposte aux causes principales des décès maternels, tout cela soutenu par les campagnes de planification familiale, les campagnes de don sanguin, des fissures obstétricales sur lesquelles ici en Guinée on a atteint un très bon niveau, un très bon résultat lors du dernier programme qui était rendre la chirurgie pour le traitement de la fissure obstétricale désormais une routine dans 4 sur 5 des hôpitaux régionaux. Sur le volet jeune on va continuer à accompagner le développement des compétences de vie notamment pour que les jeunes adoptent de plus en plus des comportements responsables à partir de leurs choix sexuels reproductifs, mais aussi en général leur choix de contribution aux défis de la société guinéenne. On vise aussi l’accompagnement aux capacités de dialogue intergénérationnel. On trouve que sur plusieurs instances il est nécessaire que les jeunes apprennent vraiment des formes de dialogue et d’engagement verbal, comportemental plus constructif vis à vis des aînés, les influenceurs en quelque sorte, les décideurs des communautés mais aussi à la fois les adultes, les aînés, les leaders traditionnels, les religieux, les parents apprennent à écouter les jeunes avec un regard moins paternaliste, moins dirigiste. Et le 4e volet très important reste celui de la réduction des violences faites aux femmes, voire on vise l’élimination sur le parcours en moyen terme, une réduction significative et pour cela on continuera l’accompagnement à la chaîne de la protection. On travaillera en étroit partenariat avec les acteurs de la chaîne de la justice avec lesquels nous ne sommes pas partenaires principalement mais nous avons apporté notre contribution autour des questions de médecine légale, accompagnement psychologique aux victimes lors des procès judiciaires et surtout une nouveauté est celle de la création d’un partenariat renforcé avec les acteurs du monde de la culture, écrivains, chanteurs, slameurs, cinéastes, pour faire en sorte que les sujets de l’UNFPA soient vraiment des sujets débattus au quotidien tels qu’on parle dans l’intimité aux foyers, entre amis on parle de sexualité, de mariages, de relations, il faut aussi que l’art et la culture nous  portent, nous dessinent la société idéale. La Guinée idéale dans sa richesse culturelle mais aussi un engagement beaucoup plus déterminé côte à côte avec les leaders religieux.

Pour terminer quelles sont vos difficultés majeures dans la réalisation de vos projets en Guinée ?

Les difficultés se situent probablement à trois niveaux dont est sans doute commun à plusieurs pays dans le monde. Je pense que certaines de nos pratiques de l’aide au développement aussi des politiques nationales de développement qui ont des racines qui remontent il y a 60 ans, 65 ans, quand on connaissait beaucoup moins les phénomènes sociaux, on disposait de beaucoup moins d’outils d’engagement des populations, il n’y avait pas de digital, le niveau d’alphabétisation des populations…Certaines de ces approches sont un peu datées. Donc le premier défi à nous tous c’est de nous reposer la question est-ce ce que nous sommes en train de faire est la bonne chose voire est-ce que la manière dans laquelle nous sommes en train de mener les bonnes actions est la seule manière de faire ? Ou il n’y aurait pas une façon plus innovante, plus galvanisante, la population surtout la jeunesse dans le cadre d’un pays jeune comme la Guinée pour accélérer les résultats. Le deuxième défi est celui de l’investissement sur le capital humain. La Guinée est un pays riche en ressources naturelles, en plein développement économique grâce aussi à ses ressources mais c’est aussi un pays riche en population. Un pays dont 77 % de la population à moins de 35 ans doit regarder à ses citoyens comme faisant partie du capital humain. Donc il faut traiter la population davantage mieux qu’on ne traite la bauxite ou d’autres ressources qui pourraient à un moment donné diminuer leur qualité. Le message c’est vraiment celui d’équilibrer les niveaux d’investissement et cela reste un défi parce que quand on voit les chiffres investis aujourd’hui, la proportion d’investissement sur les questions de santé et éducation ça reste plus bas que les cibles du gouvernement lui-même s’est donnés. On espère observer une amélioration. Le troisième défi principal reste celui de l’accès des populations aux services au dernier kilomètre. C’est vrai que le pays à travers les efforts du gouvernement mais aussi les partenariats public-privé, a beaucoup investi dans les infrastructures routières, dans l’accessibilité physique, mais tout cela ne suffit pas si n’y a pas du personnel de santé qualifié à côté des populations, s’il n’y a des moyens pour que les populations atteignent les services de santé…il y a des gros projets en ce moment, le Simandou par exemple qui ouvrent d’énormes possibilités de création de chaînes de valeur localisées pour servir ces grands investissements. Il faut vraiment nous assurer que le bénéfice des efforts ne s’use pas le plus qu’on s’éloigne de la capitale. Moi je dis souvent et je l’ai mentionné dans une tournée récente dans les régions, il faudrait concevoir de plus en plus le développement comme un processus de la périphérie au centre et pas du centre à la périphérie. Ça aussi c’est quelque chose pour un pays ayant une géographie aussi une morphologie du territoire pas toujours facile, les modèles de planification des systèmes d’assistance des populations du centre à la périphérie souvent sous estiment les spécificités de la morphologie du territoire voire des défis des régions en terme des systèmes socio-économiques, de traditions et comportements…Donc je souhaiterais de plus en plus être un partenaire pour le gouvernement qui accompagne au dernier kilomètre vers le kilomètre 36, vers Kaloum et pas le contraire.

 

Entretien réalisé par Pathé Diallo

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