Depuis l’abandon du système de taux de change fixe de Bretton Woods dans les années 1970, la problématique de la stabilité des taux de change est au cœur des échanges internationaux et intéresse tant les décideurs que les chercheurs. Le taux de change désigne le prix payé en une monnaie pour obtenir la monnaie d’un pays tiers. Il se trouve au cœur des échanges internationaux. En effet, l’achat de biens et services ou l’investissement dans un pays étranger nécessite de disposer la monnaie de ce pays.
Conséquences d’une forte fluctuation des taux de change
Au carrefour entre l’économie monétaire et celle réelle, le taux de change d’une monnaie constitue un indicateur fiable de la vigueur, la stabilité et la productivité d’une économie (Haggart, 1999). Le désalignement extrême du taux de change est nuisible pour tous les acteurs de la vie économique : Etat, entreprises, ménages, investisseurs étrangers etc (Pinchao-Rosero et al. ,2022 ; ELFATHAOUI,2019).
L’objectif de l’Etat est de veiller à la stabilité macroéconomique pour laquelle la stabilité du taux de change a une place de choix. En effet, des fluctuations extrêmes du taux de change d’une monnaie sont dommageables pour la coordination l’activité économique. Par exemple, si le taux de change chute, la dette contractée en devise étrangère revient plus chère à l’Etat. De même le prix des produits à l’importation s’accroit, ce qui peut affecter les prix des produits domestiques dans le cas des où ils constituent des intrants à la fabrication de produits locaux.
Dans le cas d’un taux de change élevé, les produits à l’exportation couteront plus chers alors que ceux à l’importation deviendront moins chers et par la suite, le déficit commercial se creusera pour le pays et ce dernier perdra en compétitivité. Cette situation peut provoquer des attaques spéculatives, la sortie massive de devises et pourrait mettre en péril le système bancaire lorsque les banques disposent une grande quantité de titres libellés en devises étrangères. En outre, la stabilité du taux de change est favorable pour le commerce international (Kouladoumra et al., 2021).
Du coté des investisseurs, le taux de change constitue généralement le principal indicateur des prix dans le cas des pays où le système financier est sous-développé et les titres peu diversifiés. Ainsi, des désalignements marqués du taux de change décourageront davantage les investisseurs. En effet, dans un contexte d’instabilité du taux de change, en plus de perdre confiance en la monnaie locale, il devient compliqué voire impossible pour les agents économiques de se projeter dans le futur.
Les autres victimes du désalignement du taux de change sont les particuliers(ménages) et les entreprises locales. En effet, un taux de change élevé est dommageable pour la compétitivité des entreprises locales à travers la cherté des produit exportés. Une chute du taux de chute du taux de change engendrerait également l’inflation (BCE,2016 ; Delaplace, 2009).
Enfin, la stabilité du taux de change est si importante, qu’elle est généralement incluse dans les critères de convergences des zones monétaires (article 140, paragraphe 1 et tire 3 des critères de Maastricht ; Critère de convergence de la CEDEAO). Dans le contexte de la CEDEAO, ce critère est considéré crucial dans la mesure où il contribue à réduire l’incertitude pour les entreprises et les investisseurs, à stimuler les échanges commerciaux et à renforcer la confiance dans la monnaie nationale.
Au cours de la dernière décennie, les politiques de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG) visant à stabiliser le taux de change du franc guinéen ont globalement été couronnées de succès.
Une performance sans précédent du franc Guinéen
En effet, entre 2000 et 2010, l’économie guinéenne traversait l’une des périodes les plus tumultueuse de son histoire. Cette période a été caractérisée en plus des remous sociaux par une forte inflation qui a atteint son pic de 42,6% en juillet 2006 alors qu’elle était contenue à un chiffre en 2000.La baisse des avoirs extérieurs nets, à cause du ralentissement des exportations alors que la progression de la masse monétaire battait son record (454,71%) entre 2000 et 2006. Cette situation a débouché sur une forte dépréciation du franc guinéen : le taux de change moyen passant de GNF 1 773 pour dollar américain en janvier 2000, à GNF 5 993 en décembre 2006. La monnaie se dépréciait à un rythme déstabilisant : le taux de change moyen passant de GNF 1 773 pour dollar américain en janvier 2000, à GNF 5 993 en décembre 2006 et La prime de change se fixe à plus de 10%.
Au cours de la transition politique de 2008-2010, la mise en place de mesures de politiques monétaires non conventionnelles pour soutenir l’économie a entrainé un amenuisement des réserves de change qui représentaient moins d’un mois d’importations à la fin 2010. Ces mesures avaient également conduit à une aggravation de la dépréciation de la monnaie nationale de 19% par rapport au dollar US et de 12% par rapport à l’Euro. Les primes de change entre les marchés officiel et parallèle par rapport à ces devises se sont accrues pour s’établir à 17,2% et 14,5%. Le taux d’inflation en glissement annuel s’accéléré pour atteindre 20,8% en décembre 2010 contre 7,9% en décembre 2009, tandis que la croissance économique se fixe à 1,6%.
Depuis 2011, la monnaie guinéenne connait une dynamique stabilisatrice. En effet, au cours de la dernière décennie, la moyenne de la prime de change face au dollar américain est passée à 2,34% avec un écart-type de 0,038 et de 2,08% avec un écart-type de 0,039 pour l’Euro. Cette situation s’est d’autant plus accentuée que depuis octobre 2020 la monnaie guinéenne s’est appréciée de 11,1% par rapport aux US$ et 24,7% par rapport à l’Euro (BCRG, 2023). L’écart des primes de changes entre le marché officiel et le marché parallèle oscillait autour de 1%.
Aujourd’hui, le Franc Guinéen est cité parmi les monnaies les plus performantes en Afrique (graphique 2) et ne s’est jamais aussi bien porté au cours de la dernière décennie.
Qu’est-ce qui expliquerait cette performance du GNF
La performance de la monnaie guinéenne est à la fois la résultante des reformes internes de l’autorité en charge de la Politique Monétaire (BCRG) mais aussi des conditions économiques à l’échelle internationale dépréciation des principales devises.
Reforme phares entreprises par la BCRG
- Assainissement du cadre de gouvernance économique et coordination de la politique économique et de la politique monétaire
La BCRG et la Ministère de l’Economie de Finances ont tout d’abord opté pour une mesure rigoureuse qui a consisté à stopper tout financement monétaire du déficit et donc de faire fonctionner le Trésor Public uniquement sur la base caisse. Par la suite, le Compte Unique du Trésor a été créé à la BCRG pour transférer les multitudes comptes du Trésor public qui se trouvaient au niveau des banques primaires, afin d’éviter la déperdition des recettes budgétaires qui caractérisait les finances publiques
- Mesures de politiques monétaires et de change
La BCRG, pour juguler l’inflation et stabiliser la monnaie nationale, adapte ses instruments à la progression des conditions monétaires : elle fait passer le taux directeur de 22% à 12,5% et le coefficient des réserves obligatoires de 9,5% à 18%.
Ensuite, pour stabiliser le taux de change, elle décide de restaurer le marché interbancaire de change en vue de financer une bonne partie des besoins d’importations des opérateurs économiques. Cette politique est aussi appuyée par la reconstitution de change grâce aux recettes minières exceptionnelles notamment l’attraction des exportateurs d’or vers la BCRG à travers des mesures incitatives. Par ailleurs, en 2016, le Marché aux Enchères Bilatérales de Devises est instauré en remplacement du Marché Interbancaire de Change (MIC) dans le but minimiser les spéculations liées à la prime de change et donc de réduire l’écart entre la prime de change entre marchés officiel et parallèle. Toujours dans le cadre des réformes du marché des changes, la BCRG a instauré en 2020 un marché des enchères d’achat ou de vente de devises basé sur des règles.
En outre, pour redonner confiance au système bancaire, un ensemble de mesures a été adopté par la BCRG : la suppression des taxes de 1,5% sur les retraits de devises, le relèvement du montant maximal de retrait en devises sans justificatif de 5 000 à 20 000 USD pour les opérateurs de change et l’instauration d’une taxe de 0,5% sur les opérations de change.
Le 03 aout 2023, le Gouvernement à travers la BCRG, a décidé de faire appliquer l’article 184 du code minier qui stipule que les sociétés minières ont l’obligation de rapatrier au moins 50% de leurs recettes d’exportation. Cette mesure et celles relatives au rapatriement des devises des orpailleurs et le bon fonctionnement du dispositif de suivi des positions de change brute ont contribué à augmenter significativement les réserves de change dont le niveau excède aujourd’hui cinq mois d’importations des biens et services.
- Réformes institutionnelles
Pour soutenir la bonne exécution de ses mesures de politiques, la BCRG s’est donné les moyens adéquats en améliorant le cadre de gouvernance des institutions financières. Il s’agit notamment de la redynamisation du cadre réglementaire et de supervision des institutions financières du pays à travers la restructuration et la modernisation et bien d’autres mesures.
Pour conclure, il convient de noter que la Guinée peut être fière de son parcours en matière de gestion de sa monnaie car certes il y a des périodes difficiles, mais nous avons pu tirer notre épingle du jeu comparativement à d’autres pays qui disposent de leurs propres monnaies et qui traversent des situations plus compliquées aujourd’hui. Notre souveraineté nous a permis d’acquérir de l’expérience et de servir de modèle aujourd’hui.
Toutefois, la BCRG devrait poursuivre ses réformes portant sur la reconstitution de ses réserves de change, renforcer la supervision et la règlementation du système financier tout en veillant à limiter ses avances au Trésor. Par ailleurs, il convient de s’interroger sur l’impact de l’appréciation durable du franc guinéen sur les activités économiques et sur les ménages.
Auteur :
Gaston BEAVOGUI
Ingénieur-Statisticien-Économiste (ISE)
Consultant & Assistant-Chercheur
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