La Guinée est assurément un pays singulier à tout point de vue ; un pays de tous les paradoxes. Dotée d’immenses ressources naturelles au point d’être qualifiée de scandale géologique mais citée parmi les pays les plus pauvres de la planète, la Guinée est aussi le pays de l’inversion de toutes les valeurs ; un pays où des voyous sont portés aux nues et des hommes vertueux voués aux gémonies.
À bien y réfléchir, l’on est amené à se poser l’inévitable question de savoir si la société guinéenne n’est pas un terreau fertile pour l’émergence et la promotion d’individus de petite vertu et qui, péché suprême, parviennent à se hisser haut pour gérer des affaires publiques.
Lorsqu’on parle de modèle de réussite en Guinée, on parle rarement des personnes qui sont arrivées à sortir d’un quotidien peu enviable auquel elles semblaient être condamnées à perpétuité et ce, à force d’imagination, de travail, d’abnégation, d’efforts personnels. Les modèles sont ceux qui, par la délinquance sous toutes les formes, le larbinisme tous genres, les courbettes, la compromission et les intrigues les plus abjectes réussissent à accéder au bien public ; en somme les voleurs, les escrocs de la République qui font main basse sur ce qui appartient à tous et s’emploient, en usant du fruit de leur sale besogne, à « s’acheter » une image, se forger une légende et une réputation surfaites.
Dans une société qui défend des valeurs et abhorre les individus sans scrupules, certains seraient déjà dans les poubelles de l’Histoire. C’est sans doute l’une des causes de l’échec des régimes précédents dans leur volonté plusieurs fois affirmée de réformer la Guinée en la débarrassant de ce système mafieux. La présence de ce même système aujourd’hui à ce niveau constitue indubitablement la preuve de l’échec à faire de la Guinée un pays où la vertu prend le dessus sur le vice.
D’anciens trafiquants de drogue, des bandits à cols blancs qui parviennent à se recycler en se glissant dans les hautes sphères de l’administration publique, quoi de plus humiliant pour les Guinéens. C’est à croire que le destin de ce pays est d’être et de demeurer à la merci de copains et coquins qui le sucent comme une orange et qui expliquent cette anomalie par des bénédictions qu’ils auraient reçues de Dieu ou de leurs parents. Dans une autre société, de tels individus auraient tout simplement couvert les leurs de honte et d’opprobre à cause de la place qui leur est faite par les lois de la République. Et contrairement à l’idée qu’ils se font, aucun honnête homme ne peut éprouver la moindre jalousie ou envie vis-à-vis d’un délinquant, d’un homme dont le niveau de moralité est égal à zéro.
Mais toutes ces situations posent encore une fois la nécessité pour les Guinéens de s’interroger sur ce qu’ils veulent pour eux-mêmes et souhaitent léguer à leurs enfants et petits-enfants. Un pays où n’importe qui peut s’octroyer le titre d’homme d’État s’éloigne totalement et dangereusement d’une société fondée sur des valeurs et compromet les générations futures.
SEKOU KOUNDOUNO
RESPONSABLE DES STRATÉGIES ET PLANIFICATION DU FNDC